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Le sang des Dalton

Le sang des Dalton

Titel: Le sang des Dalton
Autoren: Ron Hansen
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coupait des broussailles à la machette pendant que je préparais des haricots pinto et du sorgho dans un vieux pot de saindoux. Puis je m’allongeais, la tête sur ma selle, pour apprendre des morceaux à l’harmonica, tandis que Bob astiquait son insigne de marshal adjoint et tenait son journal intime avec un crayon de charpentier.
    Il se livrait principalement à des observations sur le lever et le coucher du soleil, la direction du vent et la température approximative : « douce et agréable » ou « frisquette, givre par terre jusque tard dans la matinée, je voyais ma respiration quand je parlais ». Toutes les deux semaines environ, il faisait son examen de conscience et une série de déclarations d’intentions s’ensuivait : « Résolutions : être plus charitable dans mes propos ; être plus généreux avec les moins fortunés que moi (leur offrir par exemple un repas ou un cadeau impromptu) ; me conduire à l’image des chevaliers d’antan ; aller en selle tête haute. » Le 11 janvier, il écrivait : « Pourquoi suis-je à la fois si prompt à tourner en ridicule et à critiquer autrui, et si avide de compliments et de flatteries ? Chercherais-je à en priver les autres parce que j’en ai moi-même un tel besoin ? Comment réparer les liens que j’ai ainsi brisés ? Je tourne et retourne ces questions dans ma tête en contemplant la galaxie et ne trouve aucune réponse satisfaisante. »
    À bien des égards, mon frère était pour moi un inconnu et au bout de plusieurs mois de travail à ses côtés, je n’étais toujours pas certain de vraiment l’apprécier. Mais il possédait une innocence et une bonne foi confondantes. Il pouvait être d’une sincérité et d’un sérieux extraordinaires à propos de certaines choses, si bien que vous vous preniez à embrasser son point de vue et à oublier le reste. Parfois, au sortir de la prison, à Wichita, alors que nous nous engagions sur le trottoir en planches avec nos pantalons de costume enfilés dans nos bottes, Bob annonçait : « Je nous ai réservé une chambre d’hôtel et une table à l’Ambassador Grill, et après, on ira jouer au snooker. Qu’est-ce que t’en dis ? » Je tâchais alors d’émettre une objection, mais le vide se faisait dans mon esprit ; je ne discernais plus d’autre possibilité. Quand la soirée prenait la tournure qu’il souhaitait, il me gratifiait de formidables sourires et de paroles bienveillantes ; et quand il constatait que je me hérissais, il suggérait gracieusement : « Mais vas-y, je te laisse décider, Emmett. Il n’y a pas de raison que ce soit moi qui aie le dernier mot sur tout. » Et comme de bien entendu, tous mes projets capotaient et nous passions une soirée épouvantable.
    Il était rétribué aux mêmes tarifs que Frank, deux malheureux dollars par prisonnier et six cents par mile parcouru en guise d’indemnité de déplacement, et avec ça, il devait payer le gîte et le couvert pour lui-même, ses assistants et les suspects. Après qu’il eut soumis ses comptes au tribunal fédéral, trente-cinq pour cent du solde étaient affectés aux honoraires du marshal et la facture était adressée à Washington, où le paiement pouvait être différé des mois, de sorte que certaines semaines, nos seuls repas étaient ceux auxquels nous étions invités dans les fermes que nous visitions. Je grappillais vingt-cinq cents par jour en balayant dans un saloon de Pawhuska ou en coupant du bois de chauffage pour une veuve de Ponca City. Bob et moi étions par moments si fauchés que nous avons commencé à percevoir nous-mêmes les amendes pour les plus petites infractions et à empocher directement l’argent.
    Un jour, j’ai découvert que deux cow-boys dont j’avais fait la connaissance au ranch Turkey Track chapardaient des bêtes pour le compte d’un entraîneur de chevaux de course du nom de Charlie Pierce, et je les ai surpris dans un boqueteau de sycomores en train de falsifier le marquage au fer rouge de plusieurs animaux. Il s’agissait de Bitter Creek Newcomb et de Blackface Charley Bryant. Newcomb a levé les mains en l’air, mais Bryant m’a brandi son pistolet sous le nez et j’aurais bien pu y laisser la peau si nous ne nous étions pas mis à discuter. Je leur ai expliqué que je me voyais mal les mettre en prison dans la mesure où c’étaient des amis, mais ils ont insisté pour se voir infliger une pénalité financière, afin d’éviter que ma
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