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Le salut du corbeau

Le salut du corbeau

Titel: Le salut du corbeau
Autoren: Marie Bourassa
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Vous voulez dire… Baillehache le bourrel* ?
    Comme tout le monde, Adam avait entendu raconter à propos de ce personnage des fables toutes aussi horrifiantes les unes que les autres. Ce nom de Baillehache était ni plus ni moins qu’un synonyme de déchéance.
    — Celui-là même ! avait répondu Da*.
    Adam avait accusé le coup en silence avant de se tourner vers Mam*, qui s’était mordu les lèvres.
    — Je ne suis pas un antidote contre ce fruit de la connaissance que tu as tant souhaité cueillir.
    — C’est faux, je n’y crois pas ! Ce sont des calomnies, avait rugi Adam.
    Mam* lui avait fait signe d’approcher. Adam avait obéi en hésitant et sa mère lui avait cédé sa place à table. Il avait caressé la couverture brune, tachée par l’usure. La première page arborait une peinture aux implications sinistres : elle représentait un petit homme que l’on conduisait à l’échafaud. Dessous, on avait calligraphié une légende : «  Oderint, dum metuant (101) . »
    Le jeune homme avait appris à lire et possédait quelques notions de latin. Mais il n’avait pas compris cette illustration. En quête de réponses, Adam avait tourné les pages du livre, qui étaient toutes vierges. Il était donc revenu à l’illustration. À la regarder de plus près, il avait pu constater que celui qui représentait la victime n’était pas petit ; c’était plutôt celui qui l’accompagnait qui était grand.
    — C’est moi qui ai fabriqué ce livre, il y a bien longtemps, avait expliqué Da*. Nous avons dû le cacher, sinon celui qu’il représente l’aurait sûrement détruit.
    — Père ne voulait pas que tu saches qu’il était un bourrel*, avait ajouté Mam*. Il ne craignait rien de plus au monde que ton rejet.
    Adam avait plaqué la main sur le livre et, après ce qui avait semblé un effort considérable, il s’était résolu à le rouvrir pour l’affronter de nouveau. Sur le dessin, le regard indifférent de Louis paraissait se détourner sciemment des larmes qui avaient brouillé la vue du jeune homme penché au-dessus de lui, le faisant ressembler à un gros insecte sur le papier.
    — Ça ne va pas, avait dit Adam d’une voix à peine audible. Ce Baillehache ne correspond en rien au père que j’ai connu. Je ne le craignais pas, moi. Je l’aimais.
    — Nous le savons. C’est précisément la raison pour laquelle nous ne t’en avons jamais parlé, même si nous savions aussi que nous allions devoir en venir là tôt ou tard. Nous appréhendions ce jour, avait dit Mam*.
    Da* avait répliqué :
    — C’est vrai. Car Dieu sait que cela donnerait lieu à une belle histoire. Oui, bien belle…
    Il avait secoué la tête en signe de découragement.
    — Mais nous ne saurions te la dire. C’est trop pour nous.
    — C’est pourtant l’histoire sans laquelle nous ne saurions vivre, avait dit Mam*, qui s’était discrètement rapprochée pour reprendre le livre.
    Avec un couteau à lame fine qu’il n’avait pas remarqué, elle avait soigneusement découpé la page illustrée et l’avait jetée au feu sans que Da* eût fait quoi que ce fût pour arrêter son geste. Il en avait même semblé très ému. Elle avait reposé le codex* ouvert sur la table et s’était assise devant son fils. Au-dessus du livre devenu muet, le visage de Mam* s’était tristement penché. La lueur de la chandelle avait allumé dans ses yeux couleur de pluie deux petites braises qui avaient palpité.
    — Maintenant que tu sais qui était Baillehache, avait dit son père, tu es prêt à connaître Louis Ruest. À toi revient la tâche de trouver ce que ce livre aurait dû exprimer au départ.
    Il lui avait communiqué l’adresse d’un certain Nicolas Flamel, résidant à Paris.
    Il avait fallu à Adam trois ans d’errance et de guerre pour lui donner le courage de s’y rendre.
    Les enfants de Toinot et Blandine l’escortèrent jusqu’à la maison. Pourtant, ils ne s’y arrêtèrent pas et l’entraînèrent jusque dans la cour. Installés sous le feuillage vert argenté du grand saule qui y poussait, ses parents l’attendaient.
    Comme ils étaient beaux, tous les deux. Adam s’était toujours plu à les comparer aux deux pins qui poussaient l’un près de l’autre dans un des prés du domaine. Il revit clairement les longs cheveux bouclés et la barbe de Da*, qui avaient adopté à la place du gris une teinte semblable à celle de la paille. Ses yeux s’éclairaient d’une lueur
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