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Le règne des lions

Le règne des lions

Titel: Le règne des lions
Autoren: Mireille Calmel
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toi.
    Mue soudain par cette évidence, je m’arrachai à l’assise du lit pour venir poser genou à terre devant elle.
    — Que ce qui doit être soit, déclarai-je.
    Elle sourit, apaisée, me releva d’une main redevenue ferme.
    — Comme autrefois…
    — Comme autrefois, affirmai-je en la serrant dans mes bras.
     
    Laissant Aliénor nous devancer, il fut entendu que nous la rejoindrions dès que seraient achevés les chantiers entrepris à Blaye. C’était une ville posée sur une des rives limoneuses de la Gironde, à mi-chemin de l’embouchure de l’estey qu’il fallait remonter en gabare pour atteindre Bordeaux ou franchir pour gagner en face le Médoc, ses marais, ses lacs et ses immenses plages ouvertes sur l’océan. Une ville traversée par les pèlerins qui se rendaient à Compostelle. Sa partie basse avait été placée sous la protection des deux abbayes Saint-Sauveur et Saint-Romain, cette dernière accueillant le tombeau du paladin Roland, mort à Roncevaux. Sa partie haute, réservée à la petite noblesse, se situait, elle, dans l’enceinte extérieure du château aux cinq tours qui dominait le fleuve depuis sa falaise de pierre. La marée allait et venait au rythme de son mascaret et obligeait à un entretien constant des alentours du port. Le drainage des rues, empuanties par les eaux usées, le curage de la petite rivière Saugeron, régulièrement envasée. Nous ne voulions rien laisser en plan, à la merci des ouvriers qui, sans notre présence attentive, feraient traîner les travaux dès lors que l’hiver serait installé. Je ne voulais pourtant pas qu’Henri s’annonce aux portes de Blaye tandis que nous nous y trouverions. Refuser de l’accueillir eût été un affront dont la ville et Jaufré auraient eu à pâtir peut-être. Je préférai de loin qu’il nous trouve à l’Ombrière, auprès d’Aliénor.
    Nous l’y devançâmes de une journée, peu avant la Noël.
     
    Bordeaux n’avait rien perdu de sa superbe. Le vaste castel carré flanqué de tours reliées entre elles par une coursive s’étalait sur les quais de Garonne, mêlant les accents et les parlers, les bateleurs et les mendiants, les commerçants et les négociants. Le port voyait de lourds vaisseaux chargés d’épices, de tissus précieux et de parfums orientaux côtoyer les gabares et il flottait dans l’air quelque chose de léger que Londres, malgré la prodigalité de ses divertissements, n’avait pas su engendrer.
    Aliénor nous avait réservé la chambre que j’avais toujours occupée, tout en haut de l’Arbalesteyre, nom que l’on donnait à l’impressionnant donjon rectangulaire. En son centre trônait le lit, immense, dont les montants sculptés d’aigles et de serpents entrelacés devenaient bouquet sur les traverses. Les rideaux épais qui le fermaient à la nuit tombée avaient été témoins de nombre d’ébats dont mon cœur gardait la trace et Aliénor le secret. De la fenêtre, on avait vue loin en aval, vers Blaye et en face vers le Médoc tandis qu’au pied de la tour, envahie comme autrefois d’herbes folles, la petite cour intérieure révélait à mon souvenir la forme d’un pigeonnier.
    Cette première nuit, Jaufré eut à cœur de me faire oublier toutes celles qui l’avaient précédée. De sorte que, l’après-midi suivant, lorsque des hérauts claironnèrent l’arrivée du roi, je me sentis prête à affronter ce dernier avec la même ardeur que j’avais, autrefois, mise au combat.
    Bien décidée à l’emporter.

6
     
     
    Louis de France avait désormais la paupière et les joues tombantes. L’excès de piété qui avait toujours été sien avait tant abîmé ses chairs sous le fouet et le jeûne que tout son être, dénué d’ardeur, en portait la trace. De surcroît, ces dernières années, qui avaient vu la trahison d’Aliénor, le mépris d’Aliénor, le triomphe d’Aliénor et enfin les héritiers d’Aliénor, l’avaient aigri plus que de raison. Même la mort du petit Guillaume avait pesé sur sa conscience. S’en réjouissant méchamment, il s’était ensuite astreint quarante jours durant à une telle pénitence qu’un chien en eût crevé. Sec à l’instar du Christ sous l’effigie duquel il se trouvait présentement, il n’affichait plus de royal que son costume surbrodé de fleurs de lys. Sa main, tout aussi molle, qui dépassait l’accoudoir du trône, voyait un saphir en cabochon racler l’articulation de son annulaire.
    Une moue
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