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Le pianiste

Le pianiste

Titel: Le pianiste
Autoren: Wladyslaw Szpilman
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cette
peur panique ? ou la honte de ne pas résister et se battre ?
    C’était sa dignité que la ville venait soudain de perdre, irrémédiablement.
Là, avant tout, résidait la défaite.
    Je suis rentré à la maison très abattu.
    Le lendemain soir, un obus allemand a touché la scierie qui
faisait face à notre immeuble. Les premières vitres à voler en éclats alentour
ont été celles de l’épicerie, malgré tout le papier blanc dont on les avait
protégées.

2

« Marschallstrasse ! Marschallstrasse ! »
    En quelques jours, un revirement très positif s’était
produit : décrétée place forte, la ville avait été placée sous l’autorité
d’un commandant dont le premier appel à la population avait exhorté les
habitants à rester sur place et à se porter volontaires pour défendre Varsovie.
Sur l’autre rive de la boucle que fait la Vistule, une contre-attaque polonaise
était en cours d’organisation ; notre responsabilité serait de retenir le
gros des forces ennemies dans la cité jusqu’à ce que notre armée vienne à la
rescousse. La situation s’était également améliorée aux abords de la capitale, puisque
l’artillerie allemande avait cessé de nous pilonner.
    Les raids aériens, par contre, gagnaient en intensité. Et
plus d’alertes, désormais, elles avaient trop longtemps érodé la vigilance des
citoyens. Il se passait rarement une heure avant de voir les silhouettes
argentées des bombardiers resurgir très haut dans le ciel d’automne, d’un bleu
incroyable cette année-là, puis les anneaux de fumée blanche produits par les
batteries de notre DCA, et alors il fallait se précipiter aux abris. Ce n’était
plus une plaisanterie, la ville tout entière était devenue une cible, les murs
et les plafonds des abris tremblaient sous les impacts et si jamais l’immeuble
sous lequel vous vous cachiez était atteint c’était la mort assurée, la balle
fatale dans cette roulette russe à laquelle Varsovie devait se soumettre. Les ambulances
n’arrêtaient plus de sillonner les rues, remplacées par les taxis quand elles
ne suffisaient plus à la tâche, voire par de simples carrioles chargées de
cadavres et de blessés retirés des ruines.
    Le moral était excellent, néanmoins, et la détermination ne
cessait de se renforcer. Nous n’étions plus réduits à compter seulement sur la
chance et l’instinct de survie de chacun, comme cela avait été le cas le 7 septembre,
maintenant, nous formions une armée, avec un encadrement et des munitions ;
nous disposions d’un objectif, l’autodéfense de la cité, et de nous seuls
dépendait le succès ou la défaite. Il nous fallait seulement y consacrer toutes
nos énergies.
    Le commandant en chef ayant appelé les habitants à creuser
des tranchées autour de la ville afin d’empêcher l’avance des chars allemands, nous
nous sommes tous portés volontaires, dans la famille, à l’exception de Mère, qui
restait à la maison pour s’occuper du ménage et nous préparer à dîner. Nous avons
été envoyés au pied d’une colline après les derniers faubourgs, entre un quartier
résidentiel formé de jolies villas et un parc municipal où les arbres
foisonnaient. En fait, le travail aurait été presque agréable s’il n’y avait
pas eu la menace permanente des bombes. Elles ne tombaient pas avec une grande
précision mais il était toujours désagréable de les entendre passer en sifflant
tandis que nous piochions, conscients que l’une d’elles pourrait transformer
notre tranchée en tombe.
    Le premier jour du chantier, un vieux Juif en caftan et
chapeau orthodoxe pelletait la terre à côté de moi. Il s’activait avec une
ferveur toute biblique, se battait avec son outil comme s’il s’était agi d’un
ennemi mortel, l’écume aux lèvres, ses traits pâles ruisselant de sueur, son
maigre corps secoué de frissons, tous les muscles douloureusement contractés. Il
grinçait des dents, se transformait en une tornade de tissu noir et de barbe, mais
ces efforts désordonnés, qui dépassaient de beaucoup ses ressources physiques, ne
produisaient que d’infimes résultats. Le tranchant de sa pelle effleurait à
peine la boue séchée et les dures mottes jaunâtres qu’il détachait péniblement
retombaient souvent dans la tranchée lorsqu’il avait recours à toutes ses
forces pour envoyer sa pelletée au-dehors. Alors, il se laissait aller contre
le mur de terre, secoué de quintes de toux, plus
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