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Le pianiste

Le pianiste

Titel: Le pianiste
Autoren: Wladyslaw Szpilman
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il s’est avéré qu’ils avaient eux aussi
choisi de demeurer sur place.
    Avec son sens inné du devoir, Mère a toutefois essayé de
nous persuader de suivre les ordres et de quitter la ville. Ses yeux agrandis
par l’effroi fixés sur nous, elle multipliait les arguments en ce sens. Mais
quand elle a constaté que nous maintenions notre position son beau visage si
sensible a laissé transparaître un soulagement instinctif : quoi qu’il
puisse nous arriver, il valait mieux l’endurer ensemble.
    J’ai attendu huit heures pour sortir. Varsovie était
méconnaissable. Comment un changement aussi radical s’était-il produit en si
peu de temps ? Toutes les échoppes étaient fermées, les trams avaient
disparu et il n’y avait plus que des voitures, bondées, qui filaient toutes
dans la même direction, celle des ponts sur la Vistule. Un détachement de
soldats descendait la rue Marszalkowska. Ils avaient l’air déterminés et
chantaient à pleins poumons, mais on voyait bien que la discipline s’était
notablement relâchée parmi eux : chacun portait son calot sous un angle
différent, sa carabine selon son goût, et aucun ne marchait au pas. Quelque
chose dans leur expression suggérait qu’ils partaient au combat de leur propre
initiative, pour ainsi dire, et qu’ils avaient cessé depuis longtemps d’appartenir
à une machinerie aussi précise et rigoureuse que l’est une armée régulière.
    Sur le trottoir, deux jeunes femmes leur jetaient des
œillets roses au passage en piaillant quelque formule incompréhensible, litanie
qui n’attirait pas la moindre attention des passants affairés. À l’évidence, tous
n’avaient qu’une idée en tête : régler d’ultimes détails et se rendre de l’autre
côté du fleuve au plus vite avant que les Allemands ne lancent leur attaque.
    Même les habitants s’étaient transformés depuis la veille au
soir. Où étaient-ils passés, ces dames et ces messieurs qui semblaient tout
droit sortis d’un journal de mode, qui assuraient à Varsovie sa réputation de
capitale de l’élégance ? La foule agitée de ce matin-là semblait déguisée
en un assemblage hétéroclite de chasseurs et de touristes. On avait sorti les bottes
d’équitation ou de ski, les fuseaux de montagne, on s’était sommairement
couvert la tête d’un foulard ou d’une casquette, on charriait des sacs et des
cabas, bâton de marche dans une main… Personne ne s’était soucié de sa mise, ce
jour-là.
    Encore si propres hier, les rues étaient couvertes de
déchets. Partout, dans les allées, les parcs ou même sur la chaussée, des
soldats revenus du front restaient affalés au sol, assis ou couchés, l’air
accablé par la fatigue et le découragement, une contenance qu’ils cherchaient à
forcer afin de bien faire comprendre aux citadins qu’ils se trouvaient là
uniquement parce que leur présence en première ligne n’avait plus aucune
utilité, désormais. Glanées auprès d’eux, les dernières nouvelles en provenance
de la zone des combats circulaient à voix basse. Aucune n’était bonne.
    À un moment, j’ai cherché machinalement les haut-parleurs
des yeux. Les avait-on retirés ? Non, ils étaient toujours à leur place, mais
ils restaient silencieux.
    J’ai couru jusqu’à la radio. Pourquoi étions-nous privés d’informations ?
Pourquoi n’y avait-il personne pour tenter de redonner courage au peuple et d’arrêter
l’exode en masse qui avait commencé ? Le bâtiment allait fermer, la
direction avait fui la ville. Il ne restait plus que les employés de la
comptabilité, qui se dépêchaient de remettre aux producteurs et aux artistes
sous contrat trois mois de salaire, sans autre forme d’explication.
    « Que sommes-nous censés faire, maintenant ? »
ai-je demandé à un chef de service que j’avais réussi à retenir alors qu’il
sortait d’un pas pressé.
    Il m’a lancé un regard distrait, où se lisaient le dédain
puis la colère tandis qu’il dégageait son bras d’un coup sec.
    « Qui s’en soucie ? » a-t-il crié en haussant
les épaules, avant de reprendre sa route et de claquer brutalement la porte
derrière lui.
    C’était intolérable ! Personne n’arrivait à persuader
tous ces gens de rester à leur poste au lieu de prendre leurs jambes à leur cou.
Les haut-parleurs s’étaient tus, on ne se donnait plus la peine de balayer les
rues. Mais qu’est-ce qui les salissait vraiment ? Les ordures ou
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