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Le pianiste

Le pianiste

Titel: Le pianiste
Autoren: Wladyslaw Szpilman
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toujours pas de temps à lui consacrer deux semaines
plus tard, même pour honorer sa mémoire par des funérailles en bonne et due
forme.
    À la porte du studio, un vieux pianiste qui travaillait lui
aussi pour la radio m’a attrapé par le bras. Cher professeur Ursztein… Alors
que le commun des mortels calcule en jours et en heures, son unité de mesure
personnelle était la décennie de carrière d’accompagnateur. Ainsi, quand il
cherchait à situer quelque événement dans le passé, il commençait invariablement
par un : « Attendez voir… Oui, à l’époque, j’accompagnais une telle
ou un tel. » Et une fois après avoir retrouvé de cette manière la période
concernée et l’avoir localisée dans le temps, de même qu’une borne marque la
distance au bord de la route, il laissait sa mémoire revenir au reste de ses
souvenirs, évidemment moins importants que ce repère. Là, il semblait
désorienté, abasourdi : comment mener cette guerre sans accompagnement au
piano ? De quoi aurait-elle l’air ? Tout perdu, il s’est mis à
geindre : « On ne m’a même pas dit si j’allais travailler, aujourd’hui… »
L’après-midi venu, cependant, nous étions tous deux occupés à notre instrument
– bien que déplacées de leurs horaires habituels, les émissions musicales
avaient été maintenues.
    Vers midi, comme certains d’entre nous avaient faim, nous
sommes sortis en groupe manger un morceau dans un restaurant proche du centre radiophonique.
Les rues avaient repris une apparence presque normale. Dans les principales
artères, la circulation était dense, qu’il se soit agi de trams, de voitures ou
de piétons. Tous les magasins étaient ouverts, et il n’y avait même pas de
queues puisque le maire avait certifié à la population qu’il était inutile de
stocker les vivres. Les colporteurs réalisaient d’excellentes affaires en
proposant un jouet en papier qui faisait fureur : de prime abord, c’était
un cochon mais en le pliant d’une autre façon vous obteniez la tête d’Hitler.
    Après quelque difficulté à trouver une table, nous avons
découvert une fois installés que plusieurs des mets les plus simples avaient
disparu de la carte, et que les autres atteignaient un prix nettement plus
élevé qu’à l’accoutumée : les spéculateurs étaient déjà à l’œuvre.
    La conversation s’est centrée sur l’entrée en guerre
imminente de la France et de l’Angleterre que, à part quelques fieffés
pessimistes, la plupart d’entre nous attendaient pour les jours, voire les
heures à venir. Se fondant sur l’expérience de la Grande Guerre, nombreux
étaient ceux qui pensaient que les États-Unis ne tarderaient pas à suivre cet
exemple, le sentiment général voulant que le précédent conflit mondial n’ait
servi qu’à nous apprendre à mieux conduire celui-ci et à éviter cette fois les
erreurs passées.
    La France et la Grande-Bretagne ont officiellement déclaré
la guerre à l’Allemagne le 3 septembre. Ce jour-là, j’étais encore à la maison
alors qu’il était pourtant déjà onze heures. Chez nous, la radio restait
allumée en permanence car nous ne voulions pas perdre une bribe des nouvelles
capitales qui nous en parvenaient. Les bulletins en provenance du front ne
répondaient certes pas à nos attentes : si notre cavalerie avait attaqué
la Prusse-Orientale et si nos avions bombardaient des objectifs militaires
allemands, la supériorité militaire de l’ennemi, sa puissance de feu sans
comparaison contraignaient l’armée polonaise à reculer en tout point. C’était d’autant
plus incroyable que notre propagande nous avait répété que les chasseurs et les
tanks allemands étaient en carton-pâte et qu’ils utilisaient un carburant de
synthèse pas même capable de faire fonctionner un briquet ! Plusieurs
appareils nazis avaient déjà été abattus au-dessus de Varsovie et les témoins
interrogés affirmaient avoir vu de leurs propres yeux les cadavres des
aviateurs ennemis vêtus de combinaisons en papier et chaussés pareillement… Alors
comment des troupes aussi lamentablement équipées pouvaient-elles contraindre
les nôtres à battre en retraite ? C’était à ne rien y comprendre.
    Ma mère était en train de s’affairer dans le salon, mon père
de répéter un morceau au violon, et moi de lire dans un fauteuil lorsque l’émission
qui passait à ce moment a été brusquement interrompue par la voix solennelle
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