Le Maréchal Berthier
Neptune dut relâcher pour réparer des avaries. Charles se prit de querelle avec un autre officier pour un motif futile. Malgré l'intervention de leurs camarades qui essayèrent de réconcilier les deux hommes, un duel s'ensuivit et Charles fut tué. Lorsqu'il l'apprit, la douleur d'Alexandre fut immense. Il se reprocha d'avoir laissé seul son puîné sur qui il avait promis à ses parents de veiller. Et puis, ils étaient très proches. Ses amis, en particulier Mathieu Dumas et Ségur, firent leur possible pour le consoler et le dissuader de chercher à venger le défunt. Dans ce but, et comme les hostilités semblaient suspendues, ils inventèrent de l'emmener visiter la province de Caracas au Venezuela, car l'armée était débarquée, pour l'heure, au port de Puerto Cabello. Au retour de cette longue excursion, ils apprirent que les préliminaires de paix étaient signés entre la France et la Grande-Bretagne. Ils revinrent donc en France avec l'armée après une escale à Saint-Domingue.
Berthier arriva à Brest en juin 1783 : ce fut pour apprendre la mort de sa mère, décédée en mars de la même année.
Au moment où l'armée était de retour en France, le ministre de la Guerre, le maréchal de Ségur, venait de recréer un corps d'état-major (13 juin 1783), composé d'un nombre restreint d'officiers d'élite promis au plus bel avenir. Il fut immédiatement constitué et Berthier compta bien en faire partie, d'autant que les officiers ayant fait la guerre d'Amérique devaient être désignés par priorité. Par malheur, l'appui de Rochambeau sur lequel il comptait ne put pas jouer, celui-ci n'ayant été autorisé qu'à présenter un nombre limité de candidats. Berthier ne se vit proposer qu'un emploi d'adjoint. On lui promit que le premier poste vacant d'aide maréchal général des logis serait pour lui. Hélas, même ce lot de consolation lui fut refusé. Chaque candidat pouvait exciper de davantage de recommandations que les autres si bien qu'à la fin du compte le choix du ministre fut des plus arbitraires.
Tout ce qu'Alexandre obtint, grâce à l'action de son père, fut d'être maintenu dans les cadres à titre d'adjoint d'état-major. Pour le consoler, en quelque sorte, le général de Custine, qui l'avait connu et apprécié pendant la récente campagne, lui offrit de l'emmener avec lui dans le voyage d'études qu'il allait accomplir en Prusse.
À présent, Alexandre Berthier avait 30 ans. S'il faut en croire cette mauvaise langue que fut la duchesse d'Abrantès qui le connut quelques années plus tard, alors qu'il ne devait pas avoir beaucoup changé, ce n'était pas vraiment un bel homme prêt à faire chavirer les coeurs : « Je dirais, écrivait-elle, qu'il était petit, mal bâti sans être cependant contrefait, ayant une tête un peu trop forte pour son corps, des cheveux crépus plutôt que bouclés (là, elle exagère), d'une couleur qui n'était ni noire ni blonde, des yeux, un nez, un front, un menton, tout cela à sa place mais formant un ensemble qui n'était pas beau. Des mains naturellement laides qu'il rendait effroyables en rongeant continuellement ses ongles. Ajoutez qu'il bredouillait fort en parlant… »
La duchesse qui ne l'aimait pas a forcé le trait car autrement comment expliquer son succès dans les salons ? Certes, il avait été éduqué à la cour de Versailles et ses manières parfaites ainsi que sa politesse exquise révélaient un parfait gentilhomme apprécié par les dames, surtout lorsqu'elles le comparaient aux façons de rustres de beaucoup d'autres généraux issus de la Révolution. Mais, tout compte fait, sans être un Adonis, il pouvait se targuer d'être assez bien fait de sa personne et il fut toujours bien accueilli dans le monde. La passion qu'il suscita chez une marquise italienne démentirait plutôt les propos de la duchesse. Son seul défaut visible : il était affligé d'un tic assez désagréable : en toutes circonstances, en n'importe quel lieu, il se rongeait les ongles jusqu'au sang lorsqu'il était préoccupé. Même plus tard, sa maîtresse italienne, son grand amour, ne parvint pas à le débarrasser de cette manie.
Quoiqu'il s'en défendît, il était très bon et sa charité était d'autant plus méritoire qu'elle se voulait discrète. Le jeune Lejeune qui fut son aide de camp rapporte qu'à plusieurs reprises il lui remit en secret des sommes importantes pour secourir des émigrés rentrés en France et tombés dans la
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