Le Maréchal Berthier
misère.
Ses qualités allaient le servir en Prusse. La mission française avait pour instructions d'examiner l'organisation militaire du pays qui depuis les victoires de Frédéric II passait pour la première d'Europe. Ils furent bien accueillis. Arrivés à Berlin le 8 août, ils se mirent immédiatement au travail, visitant l'arsenal et l'école d'équitation. Le 12, Berthier eut l'honneur d'être reçu par le roi. Ordinairement plutôt ironique vis-à-vis de ses visiteurs, Frédéric pouvait également se montrer charmant. Ce fut le cas avec Alexandre qu'il interrogea longuement sur la guerre d'Amérique. L'atmosphère était si cordiale que le visiteur osa demander s'il pourrait accompagner le souverain dans son inspection des camps de Silésie, ce que Frédéric accorda volontiers, charmé de l'intérêt que portait cet officier à son oeuvre. En attendant, il l'autorisa à visiter son domaine de Sans-Souci. Alexandre fut frappé du contraste entre la somptuosité des lieux et l'austérité et la dégradation de la chambre à coucher du roi.
Ainsi Berthier fut-il à même d'assister aux manoeuvres de l'armée prussienne et d'étudier les champs de bataille où elle s'était illustrée. Le roi ayant remarqué l'intérêt qu'Alexandre y portait l'en félicita et se montra plus qu'amical au moment où celui-ci prit congé. Il regagna Berlin en visitant d'autres champs de bataille et plusieurs forteresses. Dans son rapport, il insista sur l'avantage d'une mobilisation rapide suivie d'une offensive, en cas de conflit, propos qui allaient trouver leur illustration dans les années à venir.
Leur mission étant terminée, Custine estima bon pour ses adjoints de connaître l'Autriche et décida au retour de faire un crochet par Vienne. Autant Berlin et la Prusse avaient séduit Berthier, autant Vienne lui déplut. Il opposa la simplicité et l'esprit mordant de Frédéric à la morgue et la suffisance des grands seigneurs autrichiens qui le reçurent, jusque et y compris le chancelier Kaunitz et l'empereur Joseph II qu'il jugea superficiel et rempli d'idées fausses. À l'inverse de beaucoup de ses contemporains, il estima que la puissance autrichienne était plus factice que réelle.
Le 16 septembre, les Français regagnèrent Paris. Puisque l'avancement qui lui avait été promis ne lui avait pas été accordé, Alexandre, tout en remâchant son amertume, se remit au travail, car il était incapable de se complaire dans l'oisiveté. Son ami Mathieu Dumas, nota qu'il ne cessait de s'instruire et de se perfectionner. Il suivit les cours des nouvelles écoles de tactique, créées pour expérimenter des manoeuvres d'infanterie et de cavalerie. Ayant du temps libre, il lut beaucoup, notamment des ouvrages traitant de tactique et de stratégie ; c'est ainsi qu'il étudia, outre les auteurs classiques de l'Antiquité, Mes rêveries du maréchal de Saxe, le Traité de l'ordre profond du chevalier de Folard et surtout l' Essai général de tactique ainsi que La défense du système de guerre moderne de Guibert. Bien entendu, il n'oublia pas les oeuvres de Frédéric II. Aucun de ces ouvrages ne traitait particulièrement des problèmes d'état-major, mais leur philosophie formait un bon complément pour un futur officier général destiné aux plus hautes fonctions. Il en résulta, écrit Dumas, « un degré de perfection tel que d'imitateurs que nous étions, nous devînmes maîtres à notre tour ».
Les réflexions de Berthier dans son rapport à son retour de Prusse n'avaient pas été perdues par ceux qui l'avaient lu. Mais son statut personnel demeurait incertain et cette situation allait durer trois ans, jusqu'en 1786. À ce moment, le marquis d'Aguesseau, directeur du corps d'état-major, demanda au ministre de régulariser la situation de Berthier. La requête fut agréée. Il réintégra donc pleinement le corps et fut, l'année suivante, nommé aide maréchal général des logis. Il avait trente-quatre ans et était capitaine depuis neuf ans. À partir de ce moment, sa carrière un moment ralentie connut un nouvel élan. En 1788, il fut promu chef d'escadrons et, en même temps, désigné le 1 er juillet pour remplir les fonctions de major d'état-major au camp de Saint-Omer. En même temps, le roi lui décerna la croix de chevalier de Saint-Louis. Alexandre ne pouvait imaginer que cette décoration lui attirerait de terribles ennemis dans les années à venir. À la fin de 1788, il était appelé comme
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