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Le Grand Coeur

Le Grand Coeur

Titel: Le Grand Coeur
Autoren: Jean-Christophe Rufin
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monde
que lui.
    Elle se prénommait Macé. Je l’appris par Guillaume et
ce fut la première avancée que je fis vers elle ce jour-là.
Les semaines qui suivirent furent entièrement occupées
par le désir de me rapprocher d’elle. Je menai cette
campagne avec le même calme apparent que j’avais
conservé pendant notre fugue. Mais au-dedans, j’étais
dévoré par une inquiétude bien plus grande. À force de
ruses et de mauvais prétextes, je parvins plusieurs fois à
me trouver sur son chemin. Bien décidé à la saluer, je
sentais à chaque fois les mots s’arrêter dans ma gorge.
Elle passait sans me regarder. Un matin cependant,
j’eus la bouleversante impression qu’elle m’avait adressé
un sourire. Les jours suivants, elle resta aussi absente et
froide qu’auparavant.
    Je me désespérais en pensant à l’écart qui séparait nos
familles. Après avoir ignoré les différences entre la
condition de mon père et celle des autres bourgeois,
j’étais maintenant porté à les exagérer. Notre maison, àl’angle de deux rues, me paraissait étroite et presque
ridicule. Tandis que celle de Macé me semblait à peine
moins vaste et luxueuse que le palais ducal. Je déployais
des ruses épuisantes pour découvrir le moyen d’être
invité chez elle. Aucune ne réussissait. Les frères et
sœurs de Macé étaient beaucoup plus âgés et je ne les
connaissais pas. Nous n’avions pas d’amis communs.
Nos parents ne se fréquentaient pas. Il nous arrivait
d’assister ensemble aux offices à la cathédrale, lors des
fêtes carillonnées. Hélas, nous étions toujours loin l’un
de l’autre.
    Ces obstacles matériels me rendaient fou. À certains
moments, j’ai été jusqu’à concevoir des solutions désespérées. J’observais les fermetures de la maison des Léodepart, le nombre et les habitudes des domestiques.
J’imaginais m’introduire de nuit dans la cour, monter à
l’étage, me déclarer à Macé, l’enlever s’il le fallait. Je me
demandais comment nous vivrions, si mes amis accepteraient de m’aider, quelles seraient les réactions de mes
parents. Pas un instant je ne doutais de ses sentiments.
Avec le recul du temps, c’est ce qui m’apparaît le plus
extraordinaire. Nous nous étions à peine vus, jamais
parlé. J’ignorais absolument son opinion et pourtant
j’étais sûr de mon fait.
    L’affaire trouva son dénouement par un matin d’automne, je ne devais plus l’oublier. Le marronnier, sur
la petite place devant chez nous, était jaune et les passants marchaient dans les feuilles qui jonchaient le sol à
son pied. Nous attendions une livraison de peaux de
renard qui devaient nous parvenir du Morvan. Soudain,
la haute silhouette de Messire de Léodepart s’est encadrée dans l’ouvroir. Mon père s’est précipité à sa rencontre. Je suis resté en retrait et je n’entendis pas leur
conversation. Il me paraissait probable qu’il venait pour
acheter une pièce de fourrure ou la faire faire sur
mesure. La seule anomalie était qu’il se fût déplacé lui-même. Nos clients étaient pour la plupart des femmes
et, bien souvent, elles se contentaient d’envoyer leurs
domestiques. Une hypothèse folle me traversa l’esprit.
Je chassai cette idée comme une manifestation du mal
d’amour qui me rongeait et dont, en me raisonnant,
j’étais peu à peu en train de guérir. Je montai dans ma
chambre et fermai la porte. Un nouveau petit chien
qu’avait ma mère depuis le début de l’année était entré
avec moi. Je m’amusai à le tourmenter, en le caressant
rudement. Il me mordillait les doigts et poussait des
cris aigus. À cause d’eux, je n’entendis pas tout de suite
mon père qui m’appelait. Je me précipitai pour descendre. Quand j’arrivai au salon, je trouvai Léodepart
debout, silencieux, à côté de mon père. L’un et l’autre
me dévisageaient. C’était une journée de travail ordinaire et je n’avais pas apporté beaucoup de soin à mon
apparence.
    — Salue Messire de Léodepart, je te prie, dit mon
père. Il vient de prendre la charge de prévôt et nous
autres artisans lui devons obéissance.
    Je saluai gauchement. Léodepart fit signe à mon père
de ne pas continuer sur ce sujet. Il semblait désireux
d’atténuer tout ce qui pouvait accroître la distance entre
eux, et se comportait avec une simplicité bonhomme. Il
me dévisageait avec un sourire étrange.
    — Vous avez un beau garçon, maître Cœur, dit-il en
secouant la tête et
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