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Le Code d'Esther

Le Code d'Esther

Titel: Le Code d'Esther
Autoren: Bernard Benyamin , Yohan Perez
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tenait absolument à me rencontrer, moi, journaliste français venant enquêter sur sa ville natale et sur une période qu’il connaît bien. Tout cela formulé avec un accent britannique digne de Cambridge, dont je ne vais pas tarder à avoir l’explication.
    « J’ai eu de la chance, me dit-il en préambule. Je n’étais pas là lorsque les nazis ont commencé à se déchaîner. Le 22 août 1939, je suis parti pour la Palestine, poussé par un idéal sioniste qui agitait toute la jeunesse juive à mon époque. Aussi, lorsque la guerre a éclaté et qu’il est devenu clair qu’elle allait durer, ai-je immédiatement voulu me battre. Mais aux côtés de qui ? Par un coup de pouce du destin, j’ai trouvé grâce aux yeux de la puissance contre laquelle je luttais en Palestine : la Grande-Bretagne. J’ai été incorporé en 1941 dans les rangs de la British Army, et la fin de la guerre m’a trouvé à Spolète, en Italie, en avril 1945. »
    Il est époustouflant, M. Hamburger ! Petit mais alerte et vif malgré ses 88 ans, il jongle avec les chiffres, les années et les mois sans jamais se tromper. Il n’expose que des faits, sans encombrer son propos de commentaires ou du moindre attendrissement sur un passé douloureux. Peut-être est-ce un discours qu’il a souvent servi à ses interlocuteurs, au point de le connaître par cœur et de passer de Nuremberg à l’Italie, sans oublier la parenthèse palestinienne, d’un pas si sûr. L’effet est garanti, et, au vu de son âge, cet homme force le respect.
    « C’est à ce moment-là que j’ai voulu revenir à Nuremberg. Pour savoir ce qu’étaient devenus mes parents.
    — Vous imaginiez le pire alors ?
    — Je n’imaginais rien, me répond-il sans émotion, un peu agacé par ma question. Je ne savais pas… C’est tout ! Et je voulais savoir… »
    Une pause. Un silence long comme une guerre et il reprend :
    « Ils étaient vivants ! C’était un vrai miracle ! Mon père et ma mère avaient traversé la guerre sans mourir ! Je n’en revenais pas… Tout le reste de ma famille avait été assassiné par les nazis, à Izbika, un camp de transit en Pologne où l’on parquait les Juifs le temps de faire de la place à Treblinka, qui était sans cesse surchargé, à Sobibor… Ils étaient tous morts. Sauf mon père et ma mère.
    — Comment étaient-ils parvenus à s’en sortir ?
    — Comme toujours dans ce genre de miracle : par une négligence de la bureaucratie. Mon père avait été réquisitionné au début de la guerre comme travailleur “volontaire”. Il a construit avec des milliers d’autres les routes du Reich, les chemins de fer du Reich, les infrastructures du Reich… et on l’a oublié ! Ils faisaient partie de ces esclaves que l’on faisait travailler le jour et la nuit contre un salaire de misère et un bol de soupe claire. Sauf que lui, il était juif ! On l’a oublié… Un miracle, je vous dis !
    — Et votre mère ?
    — Elle était restée toutes ces années à l’attendre à la maison, terrorisée, luttant comme elle le pouvait contre le manque de nourriture… Ils étaient vivants mais totalement détruits sur les plans physique et psychologique. C’est leur état de santé qui m’a décidé : je n’allais pas retourner en Palestine. Mes parents avaient besoin de moi. J’allais m’occuper d’eux.
    — Quand vous dites “détruits”… qu’est-ce que vous entendez par là ?
    — Mes parents n’ont plus jamais été les mêmes. Mon père était extrêmement faible, physiquement. Je n’ai jamais compris comment il avait réussi à tenir. On ne leur donnait rien ou presque à manger et il était obligé de travailler comme un forcené : manier la pioche, casser des pierres, marcher sous la pluie et dans la neige, sans un seul jour de repos… Je ne sais pas où il a puisé ses forces pour résister. Il ressemblait aux squelettes que le monde entier allait découvrir avec l’ouverture des camps de concentration. Mais il était vivant !
    — Et votre mère ?
    — Sur le plan physique, elle ne valait guère mieux. Mais le plus grave, c’était son état psychique. »
    Une deuxième pause. Pas question que je le relance : s’il veut m’en dire plus, c’est lui qui le décidera. Il faut aussi savoir respecter les silences dans les interviews. Surtout s’ils sont longs.
    « En fait, finit-il par reprendre, elle avait peur. Elle avait peur de tout. Tout le
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