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Le Code d'Esther

Le Code d'Esther

Titel: Le Code d'Esther
Autoren: Bernard Benyamin , Yohan Perez
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repartais chez moi. Elle me suivait du regard jusqu’à ce que je sorte de son champ de vision, comme si ses yeux détenaient un pouvoir de protection universelle qui allait m’accompagner tout au long du périphérique. Un an après son décès, chaque fois que je passe dans sa rue, je ne peux m’empêcher de jeter un coup d’œil à sa fenêtre. Les volets sont fermés, mais je continue à sentir sa présence et son regard dans mon dos lorsque je m’éloigne de son immeuble.
    La seconde image, c’est celle de ma mère dans un kimono japonais rescapé des années algériennes, et qu’elle mettait un point d’honneur à revêtir lors de la fête de Kippour. Elle nous accueillait, frêle et bienveillante mais les traits tirés par la journée de jeûne qu’elle venait de passer, tenant à la main une cuillerée de confiture de coings préparée par ses soins, et qu’elle nous offrait afin que l’année soit douce comme le sirop de la confiture. Elle nous prenait alors dans ses bras, du haut de son mètre soixante, et nous serrait contre elle comme si un siècle s’était écoulé depuis notre dernière rencontre. Aujourd’hui encore, je sens le grain de sa peau sur mes lèvres et les accents de vanille de son parfum préféré.
    Je reconnais maintenant avoir commis une erreur, une seule, face à la maladie de ma mère. Elle avait 91 ans, mais, à mes yeux, elle s’était arrêtée de vieillir depuis une trentaine d’années. Insidieusement s’était développée en moi l’idée qu’elle était éternelle. Je sais, c’est idiot, c’est une conviction qui défie toutes les règles basiques de la biologie humaine, mais je pensais, inconsciemment, que ma mère pouvait constituer une exception. Et, malgré les signaux envoyés par la maladie, je ne parvenais tout simplement pas à imaginer qu’elle pourrait s’arrêter de vivre. Aussi, lorsque son souffle s’éteignit ce petit matin d’hiver, tombai-je en chute libre comme dans une cage d’ascenseur devenue incontrôlable et dont on sait qu’elle va inexorablement s’écraser quelques étages plus bas. J’étais dévasté, seul et nu. Il me faudrait désormais apprendre à vivre sans elle.
    Pendant la semaine qui suivit, nous avions tenu à respecter les règles religieuses (ma mère était très croyante) qui régissent un décès. Le corps posé à même le sol, un drap blanc tendu contre le mur, telle une tente, soustrayant le défunt au regard des vivants ; les obsèques au cimetière (elle reposerait aux côtés de son mari), où je ne m’aventurai pas à prononcer un mot de crainte d’éclater en sanglots, la chemise lacérée par le rabbin pour que l’on puisse voir de loin que nous étions en deuil ; et puis les « sept jours », passés ensemble, entre frères et sœurs, où l’on pleure et l’on rit au gré des souvenirs et qui jouent le rôle d’une catharsis, géniale invention de la religion mise en œuvre bien avant les théories freudiennes, nous amenant doucement vers l’acceptation de la mort et la reprise progressive de la vie ordinaire.
    Vint enfin le moment de se séparer et de regagner les domiciles respectifs, lâchés dans le monde du dehors, celui des vivants qui ignorent tout de l’épreuve que l’on vient de subir. C’est l’heure de vérité où chacun porte sa peine, sans l’aide de l’autre, et se doit d’avancer dans la banalité tragique des gestes du quotidien. Il n’y a pas d’alternative, nous avaient dit les rabbins, elle est désormais en vous et vous devez respecter sa mémoire en chérissant la vie. Oui, peut-être, mais pas si facile. Alors, on respire et on marche, on redresse la tête et on paie les factures, on s’enferme aux toilettes pour cacher un accès soudain de chagrin et on fait bonne figure auprès des collègues de bureau. Mais là encore, comme un service après-vente sacré, la religion a tout prévu, avec le devoir de réciter le Kaddish.
    Trois fois par jour, les fils d’un défunt doivent se rendre à la synagogue pour dire le Kaddish, appelé à tort la « prière des morts » alors que pas un mot ne fait référence au deuil récent. C’est l’une des pièces centrales de la liturgie juive, que l’on doit prononcer en langue araméenne, la langue la plus utilisée à l’époque de Babylone. Elle est dirigée vers Dieu afin que Son nom soit exalté, grandi et magnifié. À terme, l’abnégation du récitant ne pourra qu’influencer favorablement le
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