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Le Code d'Esther

Le Code d'Esther

Titel: Le Code d'Esther
Autoren: Bernard Benyamin , Yohan Perez
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oublié les noms mais qui, d’un geste, d’un sourire ou parfois d’une parole, m’offraient, comme les autres, un surcroît de réconfort. Enfin, un peu à l’écart, au dernier rang, était assis un homme d’une quarantaine d’années, le regard éteint, et que le rabbin tenait à me présenter. Il était mal rasé, la chemise lacérée ; je reconnus là l’un de mes compagnons dans l’épreuve du deuil.
    « Il vient de perdre son fils, me souffla-t-il. Il avait 11 ans. »
    Un pan de ma douleur s’effrita d’un seul coup. Qui étais-je, moi qui venais de perdre ma mère de 91 ans, face à un père qui pleurait la mort de son fils ? Mon chagrin s’inscrivait dans l’ordre naturel des choses. Pas le sien. Ce sont les enfants qui doivent enterrer les parents. Pas l’inverse. Cette fois, c’était à moi de lui témoigner toute la commisération du monde, m’excusant presque de la banalité de mon cas. Je lui présentai mes condoléances, un sourire doux-amer sur les lèvres. La fonction psychologique du Kaddish faisait la preuve de son efficacité : la condition de cet homme allait m’aider à relativiser mon chagrin, à me sentir moins seul, à accepter l’inéluctable comme faisant partie intégrante de l’existence d’un homme sur la Terre.
    « Tenez, installez-vous où vous voulez, me dit-il en m’entraînant vers le centre de la synagogue. L’office ne va pas tarder à commencer. Je vous laisse avec ce livre. »
    Il extirpa, de l’un des casiers se trouvant au dossier de chaque siège, un ouvrage relié en cuir à la couverture beige. C’était un livre de prières rédigé en phonétique, véritable bouée de sauvetage pour tous les mécréants saisis d’une soudaine pulsion de foi mais imperméables aux caractères hébraïques. Mes maîtres en littérature avaient raison : en un quart d’heure, j’avais changé d’univers, allégé (un peu) ma peine et commencé à admettre que je n’étais pas l’homme le plus malheureux du monde. Uniquement en poussant la porte d’un édifice inconnu. Ah, ils étaient forts, tous ces docteurs de la foi qui avaient rédigé l’ensemble de ces principes de vie selon la loi hébraïque !
    Plongé dans mes pensées, encore étourdi par l’avalanche de sentiments qui déferlait sur moi, je n’avais pas remarqué qu’un homme venait de s’asseoir à mes côtés. Pour être tout à fait exact, c’est moi qui venais de choisir un siège contigu au sien. Parce qu’à la synagogue chaque fidèle possède sa place, ses habitudes, son casier, dans lequel il range à la fin de chaque office ses livres et même parfois son talit , son châle de prière. Il me salua en silence, esquissa un sourire en apercevant mon livre à couverture beige et s’offrit à m’indiquer la page marquant le début de l’office. Je le laissai faire, troublé par la sollicitude que me témoignaient tant de personnes que je n’avais jamais vues auparavant. L’homme devait avoir une quarantaine d’années ; il était brun, mince, vêtu d’un costume gris et d’une chemise blanche, col ouvert, mélange improbable de John Turturro et de Christophe Willem, une kippa sur la tête. Je venais de rencontrer Yohan.
    La prière commença. J’avais du mal à suivre, malgré ma lecture assidue de L’Hébreu pour les Nuls  ! Puis vint le moment de la récitation du Kaddish. C’est M. Toledano, assis juste derrière moi, qui me donna une tape sur l’épaule en me soufflant : « C’est à vous… Allez-y ! » Et je me retrouvai debout, livré à l’assemblée m’observant avec intérêt, aux côtés du père orphelin de son fils, pour psalmodier la prière des morts. Prévoyant l’épreuve, je m’étais entraîné, à la maison, à dire et redire ces mots qui ne signifiaient rien pour moi et que je devais scander à présent la voix haute et claire. L’araméen se bousculait dans ma bouche, des cascades de consonnes se déversaient de ma gorge à un rythme effréné, tel un train lancé à toute vitesse et que plus personne ne contrôle. Mais je tenais bon et m’accrochais au petit papier plastifié qu’un rabbin compatissant m’avait offert au cimetière, lors des obsèques de ma mère. Lorsque j’arrivai au bout de ma prière, des dizaines de sourires d’encouragement me raccompagnèrent à ma place. Mes voisins m’accueillirent chaleureusement avec le regard de ceux qui vous acceptent dans leur communauté.
    « C’était super !
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