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Le Chevalier d'Eon

Le Chevalier d'Eon

Titel: Le Chevalier d'Eon
Autoren: Evelyne Lever
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qui puissent juger dans le silence les crimes de certains grands qui se croient au-dessus de toutes les lois. J’ai lu vos Lettres écrites de la montagne et toutes les excellentes répliques à vos adversaires   ; permettez-moi donc de vous faire lire aussi mes défenses. Je serais humilié si, après avoir défendu autant qu’il a été en mon pouvoir les droits de l’honneur et de l’humanité, il me restait des torts dans l’esprit d’un homme aussi vertueux, aussi éclairé, que j’aime et respecte autant que vous. Je n’ai pas lieu d’appréhender un tel jugement de votre part   ; puisque c’est principalement dans vos ouvrages que j’ai appris que la conservation de soi-même était une loi fondamentale de la nature et arrêtait l’obligation de toutes autres lois, lorsqu’elles lui étaient opposées, que cette loi naturelle est indépendante de toutes les conventions humaines. Ainsi, quels que soient les dignités et le caractère de mon ennemi, il n’a jamais pu acquérir nul droit sur ma vie   ; pas plus que j’avais sur la sienne et celle de mon prochain.
    On pourrait, à plusieurs égards, faire un parallèle de la bizarrerie de votre sort et du mien   ; vous républicain et protestant, pour avoir fait imprimer Émile dans une république, vous avez été décrété de prise de corps sans avoir été sommé de comparaître   ; moi, ministre français, pour avoir fait imprimer une défense contre un autre ministre français qui m’attaquait, j’ai été condamné dans une République sans avoir été entendu. Si je n’ai pas comparu au Banc du Roi, ce n’est certainement pas par aucun mépris pour les lois anglaises, qui en général sont beaucoup plus justes que partout ailleurs   ; c’est que je savais que par une complaisance politique, on voulait me condamner et non me juger. C’est qu’on m’a refusé le temps nécessaire pour me défendre et avoir mes témoins. Quand je les ai eus pour le terme suivant, on a voulu m’enlever de force pour me transporter en France, et pour m’empêcher de comparaître devant aucun tribunal. La prudence m’a obligé alors à la retraite   ; et pendant ce temps, on a condamné mon livre comme un libelle pour n’avoir pas comparu. D’un côté, on condamne ma défense et de l’autre on suspend la justice des Grands jurés d’Angleterre, qui ont trouvé mon ennemi atteint et convaincu des crimes de poison et d’assassinat contre ma personne. Ne pouvant défendre la cause par la vérité, il a cherché à se soustraire à la sévérité des lois et à éblouir par l’autorité en demandant avec la dernière instance un Noli Prosequi. Cette demande seule n’est-elle pas l’évidence la plus complète du crime   ? Malgré l’équité et la liberté anglaises, je ne puis obtenir justice entière, parce que mon empoisonneur et mon assassin est constitué en puissance. Ses crimes seront au moins rangés dans l’histoire au nombre des grands crimes impunis. Hélas   ! mon cher Rousseau, mon ancien confrère dans la politique, mon maître dans la littérature, compagnon de mon infortune, vous qui ainsi que moi avez éprouvé le caprice et l’injustice de plusieurs de mes compatriotes   ; c’est à vous que je puis dire avec vérité que je n’aurais jamais osé, à l’exemple de mes parents, à servir le roi et ma patrie avec autant de zèle et d’amour que je l’ai fait, si j’eusse pu croire que la calomnie, le poison et le poignard dussent être à la fin toute la récompense de mes services et de mes blessures. Ne dites pas après cela que vous êtes le seul homme véritablement malheureux, que les bizarreries de votre destinée ne sont qu’à vous. Je conviens qu’il y en a de bien extraordinaires dans le cours de votre vie, mais convenez aussi que l’étoile de ma naissance n’a pas été heureuse.
    Cependant, je suis né coiffé, et j’ai fait mentir le proverbe   ; rien de tout cela ne doit nous attrister à un certain point   ; notre conscience ne nous reproche rien, et nous connaissons par notre propre expérience la malice des hommes. Quoi qu’il en soit, je ne me plains point des maux qu’on m’a faits   ; la Providence (grâce à la liberté anglaise et à ma vigilance) n’a pas permis que l’innocent tombât sous les coups de son persécuteur. Le ciel m’a donné la vertu, l’homme injuste ne peut me nuire, j’ai fait rougir la calomnie, j’ai fermé la bouche du méchant et celle de
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