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Le Chant des sorcières tome 2

Le Chant des sorcières tome 2

Titel: Le Chant des sorcières tome 2
Autoren: Mireille Calmel
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du règne des Géants. Ce sont eux qui me l'ont racontée. Je les entends depuis que je suis enfant. Je leur parle.
    — Je leur ai parlé aussi, assura Mounia.
    — Je le sais, mon petit. Maintenant je le sais.
    La Sarde lui rendit la fiole et secoua sa tête au chignon strict épinglé sur le haut de la nuque, sous le fichu noir qu'elle ne quittait que pour dormir. Prenant une profonde inspiration, elle frotta ses paumes sur son tablier par réflexe, comme elle le faisait chaque jour avant d'accomplir une grande tâche.
    — Avant de vous parler d'eux pourtant, il faut que je vous parle de ma grand-mère. C'était un personnage important de l'île. On la respectait pour sa sagesse et sans doute pour ce pouvoir qu'elle avait, semblable au mien. Elle vivait au bout du village, en face de l'église et le soir, elle s'installait à sa fenêtre pour regarder les trépassés défiler comme s'ils allaient encore à la messe. La première fois que je me suis assise à ses côtés, cette procession m'a semblé normale. C'est en comprenant que ma mère ne la visualisait pas que j'ai compris notre différence. Alors, dès que possible, je me rendais chez la Grand, pour qu'elle m'explique, m'enseigne. Elle avait vu en moi son successeur, je pense.
    — Mais la prophétie ? s'impatienta Enguerrand.
    Catarina le foudroya du regard et, résigné, il s'en vint se poser sur une autre des pierres rectangulaires.
    — J'ai fini par me lasser de voir les morts aller et venir sans but. Ombres parmi les ombres. Ils étaient devenus ordinaires. Ce qu'ils me racontaient était ordinaire. Je l'ai dit à grand-mère. Elle s'est fâchée. J'avais reçu un don de Dieu et, fine bouche, je le dénigrais. Elle n'a plus voulu que je vienne chez elle tant que je ne me sentirais pas digne de l'honneur qui m'était fait. Fière déjà, je n'ai rien dit. Encore moins à ma mère qui pour plaire à la sienne me libérait de mes corvées. Ce temps que je ne passais plus auprès de Grand, je l'ai consacré à explorer les alentours. C'est ainsi que je me suis retrouvée au pied de ce nuraghe.
    Un voile de tristesse passa sur ses traits.
    — L'endroit me fascina tant que je ne vis pas le jour décliner et la lune, ronde, prendre sa place au firmament. J'ai perçu le froid en même temps que le premier ricanement, je crois. Ce fut incontrôlable. Je me suis mise à courir en direction de la pinnettu que j'avais remarquée sur la colline. Je ne me suis arrêtée que devant la porte et je me suis retournée.
    — Et vous les avez vus comme nous hier soir, frissonna Mounia.
    — Oui. Rien à voir avec la procession sereine du village. Non. Ils hurlaient, se débattaient dans la nuit, comme prisonniers d'une puissance maléfique qui voulait toujours plus. Plus d'âmes à emporter, à torturer. Je me suis rabattue dans la cabane. J'ai barré la porte et j'ai attendu. La nuit durant. Les yeux braqués sur les ouvertures aux murs, au toit, certaine qu'ils allaient venir me chercher. Mais rien ne se passa. C'est en regagnant le village au matin que je l'ai trouvée. Morte d'effroi devant le domus des janas . Ma grand-mère. J'ai toujours pensé que c'étaient ses défunts qui lui avaient dit où me trouver. Et que me sachant en danger elle avait affronté les démons pour me sauver. Elle s'était sacrifiée.
    Il y eut un silence. Lourd.
    — Pourquoi être venue vous installer ici après ça?
    Elle ricana.
    — Croyez-vous que j'ai eu le choix ? Stupidement, j'ai couru chez ma mère. Désespérée, je lui ai tout raconté. Aidée de mon oncle elle est allée récupérer le corps, a envoyé chercher le curé, à qui je me suis confessée. On m'a laissée en paix jusqu'à l'enterrement. Le lendemain ma mère me tendait mon balluchon. Le conseil du village m'avait bannie. Grand-mère avait toujours interdit à quiconque de s'approcher des nuraghi les nuits de pleine lune. Elle savait. Elle aurait pu me le dire. Elle aurait dû me le dire. Mais l'aurais-je écoutée, si elle l'avait fait ?
    — Vous auriez pu vous installer au village voisin ?
    Catarina secoua la tête.
    — Nulle part, je n'aurais été en paix. La fierté du don, c'est dans le désespoir et cette sentence que je l'ai acquise. Je suis restée en mémoire de ma Grand. Et aussi parce que je ne me voyais pas vivre avec le poids de cette culpabilité. Cela fera vingt-huit ans cette année. Vingt-huit ans que j'écoute l'âme des Géants mugir dans la plaine. Enguerrand se gratta la
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