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Le camp des femmes

Le camp des femmes

Titel: Le camp des femmes
Autoren: Christian Bernadac
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lui courir après, crut que j’avais été reprise ; elle prit ses jambes à son cou et, en raison de l’avance qu’elle avait sur moi, ce fut la dernière vision que j’eus d’elle, jusqu’après la libération où sa photo orna toutes les premières pages de la presse à la suite d’un assassinat crapuleux qu’elle avait commis, après un nombre incalculable d’escroqueries qui l’avaient menée de prison en prison après son retour de déportation.
    Mes deux « amis », navrés de me voir abandonnée à moi-même, décidèrent d’aller demander aux fermiers qui les employaient, et avec qui ils semblaient en excellents termes, de me donner l’hospitalité pour la nuit qui approchait. Ils revinrent penauds… Leurs employeurs, craignant que je les dénonce si j’étais reprise, avaient refusé, mais m’envoyaient du café, des pommes de terre bouillies, une boussole, 25 marks et un sac de pommes de terre vide pour me couvrir dans « ma » meule de foin… Ce fut une vraie fête… Mes deux sauveteurs me quittèrent tard en me disant qu’ils reviendraient à 1 heure me mettre sur mon chemin, car je devais marcher la nuit et me « planquer » le jour… Ils revinrent, en effet, et nous nous quittâmes tristement là où la route devait me mener à Berlin, en nous donnant nos adresses et en nous promettant de nous revoir « après ».
    Auguste ne revint jamais, il fut expédié en Russie ; l’autre, Francis, put se sauver et vint me voir à Paris un beau jour de l’hiver 45-46. Dois-je dire que nous eûmes bien du mal d’abord, puis bien de la joie, à nous reconnaître !
    Après les avoir quittés, je repris ma route à la belle étoile, scandant mes pas de mes chansons favorites… « Sur les routes de France », « Ah ! qu’il était beau mon village », « Jeanne de Lorraine », etc. Je mangeais des pommes aux arbres et déterrais des pommes de terre que je mangeais crues… J’en avais vu bien d’autres… J’étais libre… J’allais rentrer, expliquer au général de Gaulle ou à ses services ce qui se passait dans les camps… J’allais revoir ma petite fille. J’avais trente-deux ans… J’étais une héroïne !
    Et puis, la troisième nuit, alors que je me rapprochais, d’après les quelques poteaux indicateurs rencontrés sur ma route… je n’en vis plus, je traversais une forêt, j’étais perdue ! Je croisai un groupe d’animaux aux yeux perçants que je pris pour des chiens (j’appris plus tard que c’étaient des loups, mais qu’à cette époque de l’année, ils ne s’attaquaient pas aux hommes). Rétrospectivement je fus bouleversée en m’imaginant ce qu’aurait pu être ma fin anonyme dévorée par des loups. Enfin, l’aube se levant, à l’heure où je me cachais les autres jours, exténuée, d’avoir tournée dans cette forêt, je vis enfin un écriteau sur lequel était écrit : « Berlin 18 km – Tempelhof 2 km. » Je réalisai que trois à quatre heures me suffisaient pour atteindre les faubourgs de Berlin où je me perdrais dans la foule des travailleurs étrangers à la capitale, et je décidai de ne pas attendre la nuit suivante. Ce fut ma perte…
    Je traversai vers 6 heures du matin un petit village endormi, je me demandai si mes pas n’allaient pas réveiller tous les habitants lorsqu’une porte s’ouvrit devant deux gendarmes. Ils me regardèrent étonnés et poliment s’approchèrent et me demandèrent mes papiers. « Nixt papir » leur fut-il répondu. Je fus amenée très poliment dans l’immeuble d’où ils venaient de sortir et je compris que c’était la gendarmerie. L’on me donna du café et du pain dans une petite cellule assez confortable et vers 9 heures, je fus appelée devant un officier parlant un français assez correct. Dans le bureau se tenait une jeune fille derrière une machine à écrire.
    Je fus bien sûr interrogée sur ma présence dans ces parages et je racontai une histoire qui me semblait plausible : j’étais une volontaire de la collaboration et j’étais venue travailler dans les usines Siemens de Berlin, mais les raids multipliés des Anglo-Saxons m’ayant terrorisée, je m’étais échappée depuis deux jours, droit devant moi, dans la campagne, ce qui expliquait mon aspect pour le moins fripé.
    Tout ceci fut écouté avec intérêt, tapé à la machine par la jeune secrétaire. Lorsque j’eus fini, on me demanda mon identité, que je donnai fausse. Je fus priée de
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