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Le camp des femmes

Le camp des femmes

Titel: Le camp des femmes
Autoren: Christian Bernadac
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vécu en communiste, fit une prière à Dieu lui demandant au seuil de la mort, d’échanger sa vie contre la mienne afin que moi je retrouve ma petite fille…
    et Paule D., d’Isigny, qui, alors que très malade au « Revier » (v) , je me plaignais de ne plus me rappeler aucun vers, de n’avoir plus rien lu depuis tant de mois et manifestais dans ma fièvre le désir puéril de relire « l’Hymne au Soleil » de Rostand, passa une partie de sa nuit à le transcrire à la lueur d’une bougie afin de me l’apporter à 4 heures, avant l’appel du matin, auprès de mon lit d’hôpital, où je me débattais contre le typhus…
    — Ô Soleil, Toi sans qui les choses…
    et combien d’autres… qui par des actes de ce genre contribuèrent à nous réassurer, en nous permettant de ne pas douter, que l’amour existait encore, que la vie pouvait encore être belle, que nous devions lutter…
    Les jours, les semaines, les mois de ma déportation ont été, sans aucun doute, abominables. L’expérience des camps concentrationnaires est difficile à exprimer et à faire comprendre… Seuls ceux qui l’ont vécue, savent…
    L’horreur et la grandeur, la déchéance et la noblesse de ce qui fut vu et vécu se combattent sans cesse dans nos souvenirs, cependant, puisque notre pays a dû traverser une telle épreuve, je crois avoir été privilégiée d’avoir dû vivre cette épreuve, telle que je l’ai vécue, d’avoir survécu et d’être encore là pour vous dire que la profonde amertume des heures a été souvent compensée par le sentiment de solidarité, la découverte profonde du respect mutuel et de l’amour du prochain (vi) .

AVANT-PROPOS
    Alors elles seront, corps triomphants de ce troupeau d’« ombres défigurées », marqué par l’indifférence et l’oubli, le sceau de la sagesse. Génie ! Génies d’un temps où la grandeur de chaque seconde se mesurait en foi. Foi en l’homme. Homme créature et esprit.
    Alors elles seront, femmes scabieuses aux yeux bleus piquetés de blanc, les ressuscitées du tourment et de la tempête. Alors elles seront, en retrouvant le monde, ce tuffeau gris qui cimente les cœurs.
    Alors elles seront, ayant échappé au tuage de l’abattoir, avec leur sueur fade et fauve, la salive de notre nouveau langage.
    Hérésiarques d’un siècle asservi, elles sont la moie de notre pierre, l’orant de nos désirs.
    Femmes elles seront.
    Femmes-mères d’une autre génération. Mannequins nus de Ravensbrück, femme-outil de Zwodau, chose de la Scheisskolonne (kommando de la Merde [sic]), stück (morceau) des « entiers » de la mine ou du sable, pieds, bras, mains, doigts, et levier, et muscles, et tenaille, et fil ; aiguille, tour, pelle, pioche, mains, pieds, doigts et marteau et ciseaux. Grues, ponts, wagonnets, trague…
    — Kaffee Holen : allez chercher le café.
    — Raus ! Schnell, Schweinrei ! Sortez ! Vite ! Cochonnerie !
    — Chambre à gaz ! Crématoire !
    — Raus ! Zu fünf : sortez ! par cinq !
    Zu fünf ! toujours par cinq ! Colonne par cinq ! Travaillez zu fünf ! à genoux zu fünf !
    Mourir zu fünf ! mourir un million de fois zu fünf !
    Oui ! ombres d’un autre monde, d’une autre vie à califourchon sur la mort.
    Rêves de viande rouge, de rires, de caresses, de silhouettes callipyges, du foyer, de la table, du lit, du cimetière…
    Demain elles seront. Aujourd’hui elles sont.
    Aujourd’hui elles sont. Et leur « labarum », cet étendard sur lequel Constantin fit plaquer la croix avec l’inscription « in hoc signo vinces » (par ce signe tu vaincras), est tombé en poussière. Pauvre triangle rouge des déportées oubliées :
    — Vieilles histoires !
    — Exagérations !
    — Psychopathes !
    — Pyjama ridicule des 14 juillet.
    Elles ne sont plus. Elles ont été. Et l’histoire ne les retrouvera que demain, demain lorsque la raison voudra connaître, comprendre. Demain, car aujourd’hui c’est encore notre histoire. Demain oui, plus qu’aujourd’hui.
    Ces femmes, comme ces milliers d’hommes – frange survivante – sont dépositaires d’un secret. Eux seuls ont connu et peut-être trouvé l’homme. S’ils n’ont pas toujours su le comprendre ou l’expliquer, s’ils l’ont déformé – embelli ou noirci – une chose est certaine : ils l’ont vu.
    Désignés, choisis pour n’être plus que le numéro matricule d’une série, d’un block, d’un camp, d’un
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