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Le bâton d'Euclide - Le roman de la bibliothèque d'Alexandrie

Le bâton d'Euclide - Le roman de la bibliothèque d'Alexandrie

Titel: Le bâton d'Euclide - Le roman de la bibliothèque d'Alexandrie
Autoren: Jean-Pierre Luminet
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E. Le A pour Alexandre, le B pour basileus, qui signifie roi, le G pour genos, la race, le D pour Dieu, le E pour édification. De fait, Alexandre édifiait une ville incomparable, divisée en quartiers désignés par les premières lettres de l’alphabet. Il n’avait qu’une chose en tête : les leçons d’Aristote, son ancien précepteur. Il te suffira, Amrou, de lire La Politique du Philosophe pour y trouver toutes les considérations justifiant l’installation d’une ville en cette région hostile, marécageuse et insalubre.
    Alexandre le Grand, bientôt relancé à la conquête d’autres parties du monde, vécut trop peu pour voir sa ville achevée. De même Aristote ne vint jamais dans la cité idéale qu’il avait rêvée, et que son glorieux élève avait fondée. Le Philosophe mourut d’ailleurs en exil, un an après Alexandre. Chassé d’Athènes également, Démétrios de Phalère, qui avait gouverné d’une main de fer la cité attique dix ans durant, après avoir été l’un de ses plus notoires disciples.
    Autre élève d’Aristote aux côtés de Démétrios, et non des moindres, Ptolémée, le premier qui régna ici. Celui-là fut le meilleur général d’Alexandre. On disait même qu’il était son demi-frère et que le Philosophe les avait éduqués ensemble. Après la mort du Conquérant, tout en menant d’interminables guerres contre les autres généraux qui se disputaient les restes de l’empire, Ptolémée I er , dit Sôter, le Sauveur, s’assura de son propre royaume en Égypte, la vieille et riche terre des Pharaons, et il eut la sagesse d’y apporter paix et prospérité.
    À l’époque où Ptolémée en devint le premier roi, Alexandrie n’était encore qu’un vaste chantier. La cité grouillait déjà de temples, d’entrepôts, de tavernes, de bordels. Goudron, huile, fange, excréments et sueur mêlaient leurs effluves à ceux de l’encens et de la myrrhe. Mobilisant les antiques savoirs des bâtisseurs de pyramides, les alliant à la raison et à la logique que les Grecs tenaient d’Aristote, Ptolémée fit de la cité cette parfaite géométrie dont tu as fort bien profité, Amrou, pour envahir ses larges avenues avec tes cavaliers. Il lança un pont au-dessus de la mer pour rejoindre l’île de Pharos, où il fit ériger cette tour qui, depuis bientôt un millénaire, a sauvé tant d’équipages en les guidant de sa flamme dans la nuit ou la tempête.
    Comment crois-tu, Amrou, que fut construite cette merveille, sinon grâce aux livres qui nous entourent, livres que rédigèrent ou consultèrent architectes, ingénieurs et géomètres ? Ce sont ces livres qui ont bâti la tour de Pharos, ce sont ces livres qui ont préservé tant de marins de la mort affreuse des noyés.
    Ptolémée fonda la Bibliothèque pour bien d’autres raisons encore. Il désirait d’abord apprendre à bien régner. Aussi voulut-il lire tout ce qui avait été écrit sur les lois, la politique et l’histoire. Ce n’était pas cela qui manquait : les Grecs sont intarissables en la matière, depuis que Solon rédigea la première constitution connue au monde. Mais depuis la mort d’Aristote il n’y avait, pensait le roi, qu’un seul homme capable de connaître la liste de tous les rouleaux parlant de la royauté et de la meilleure façon de gouverner : Démétrios, son ancien condisciple. Choix étonnant, car entretemps, celui-ci avait été tyran d’Athènes, soutenu au pouvoir par Cassandre, le successeur d’Alexandre. Tyran, c’est du moins ce qu’affirmaient les Athéniens. Ils reprochaient surtout à Démétrios d’avoir été, durant sa décennie de règne sans partage, le meilleur soutien pour le Lycée, fondé par Aristote selon le modèle de l’Académie de Platon, et qui n’était à leurs yeux méprisants qu’un ramassis de métèques.
    Un jour, sous la menace d’un soulèvement provoqué par un épigone d’Alexandre, Démétrios avait dû fuir Athènes et se réfugier à Thèbes, où il avait sombré dans la misère de l’exil. C’est donc avec pour seul bagage la science de son maître, ses talents d’orateur et son expérience du pouvoir qu’il débarqua à Alexandrie où Ptolémée l’appelait.
    Le roi l’accueillit avec faste, venant lui-même le chercher sur le port bien protégé par les digues qui reliaient les îles entre elles, formant une rade en cercle ouverte seulement par un chenal. Ils pénétrèrent dans le Brouchéion, le quartier des
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