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Le bâton d'Euclide - Le roman de la bibliothèque d'Alexandrie

Le bâton d'Euclide - Le roman de la bibliothèque d'Alexandrie

Titel: Le bâton d'Euclide - Le roman de la bibliothèque d'Alexandrie
Autoren: Jean-Pierre Luminet
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dos, dans la nuit du désert, nous contemplions la voûte céleste, il s’interrogeait à voix haute sur les mêmes questions. Et il m’entraînait dans son vertige. Les réponses sont-elles dans ces murs ?
    — Peut-être. Peut-être pas. Tout ce que je sais, c’est que je peux te guérir de ton vertige. Mais auparavant, te plairait-il au moins de savoir comment, depuis mille ans, des hommes ont entassé ici tous ces livres, par quel prodige ? Quand tu sauras « comment », peut-être alors pourras-tu répondre à la question « pourquoi ».
    — Voilà qui est sage, belle demoiselle, même si je crois deviner qu’il s’agit d’une nouvelle tour de Babel dont tu vas me conter l’histoire.
    — Tu es bien comme tous les hommes, Amrou, si tu juges et condamnes avant de savoir. C’est pourquoi vous faites la guerre. Or, c’est une histoire de paix et non de guerre que je vais te raconter, une histoire de savoir et non de pouvoir.
    — Une histoire de femme, en somme.
    — Pourquoi pas ? La Bibliothèque est femme, sans doute, dont nul ne peut épuiser les secrets.
    Elle avait dit cela presque en chuchotant, d’une voix chaude et légèrement voilée. Amrou en fut profondément ému. Toussant pour masquer son trouble, il dit d’un ton trop martial :
    — Raconte donc, en commençant par le début. Si tu me convaincs, je tenterai à mon tour de persuader le calife Omar de préserver tout cela.
    « … Me convaincre ou m’envoûter, trop belle sorcière », songea le soldat qui se croyait déjà sous le poids d’un charme maléfique. Il poursuivit :
    — Raconte-moi d’abord quels sont les fous qui ont voulu aussi sottement qu’orgueilleusement reconstituer en mille ans, sur la peau des veaux ou la feuille des plantes, ce que Dieu avait mis sept jours à créer.
    — Pour te narrer l’invention de la Bibliothèque, répliqua Hypatie, tu devras écouter mon oncle. Il connaît son histoire bien mieux que nul au monde. On pourrait même croire qu’il a connu ses fondateurs, ajouta-t-elle en riant.
    Amrou ne put cacher son dépit. La voix d’Hypatie était comme une musique enchanteresse. Mais l’Arabe se résigna à écouter celle, un peu chevrotante, du vieil homme. Après tout, cette voix-là ne ressemblait-elle pas à celle de son grand-père, l’ermite qui tentait jadis de percer avec lui le mystère des étoiles ?

Millénium

L’Univers en rouleaux (Premier cours de Philopon)
    Avant la Bibliothèque, il y eut la ville. Et vois-tu, Amrou, la naissance d’une ville ressemble à l’apparition d’un être nouveau qui va croître, s’épanouir, parfois mourir, comme une créature humaine.
    Alexandre n’avait que vingt-trois ans lorsqu’il traça le contour de la cité le vingt-cinq du mois égyptien de Tybi, il y a un millénaire de cela [1] . Après s’être rendu maître de l’Égypte, celui qu’on appela « le roi des quatre parties du monde » résolut d’y fonder une ville grecque qui serait grande et porterait son nom. Sur le conseil de son architecte Deinokratès, il était sur le point de mesurer et d’enclore un certain emplacement, lorsqu’en dormant il eut une vision merveilleuse. Un homme d’aspect vénérable apparut auprès de lui et récita ces vers : « Sur la mer houleuse il existe un îlot. En avant de l’Égypte, on l’appelle Pharos. »
    Alexandre se leva aussitôt et se rendit à Pharos, qui en ce temps-là était encore une île, mais qui est maintenant reliée au continent par une chaussée. L’architecte vit que la situation était favorable, et Alexandre lui ordonna de tracer le plan de la ville en harmonie avec la configuration du terrain. Comme Deinokratès n’avait pas de craie, il prit de la farine et délimita sur le sol noirâtre une aire arrondie, dont le contour intérieur, tendu par des lignes droites, figurait une chlamyde, ce manteau court et fendu que le Conquérant avait coutume d’accrocher à l’épaule. Le roi fut charmé de ce plan. Alors, une multitude d’oiseaux de toutes espèces vinrent du fleuve s’abattre sur le site comme des nuées, et ne laissèrent pas la moindre parcelle de farine. Troublé par ce présage, Alexandre s’adressa aux devins, mais ceux-ci l’engagèrent à garder confiance.
    Le Conquérant ordonna donc de bâtir la ville. Quand la plus grande partie de la cité fut dotée de fondations et fixée par ses limites, Alexandre fit graver dans l’enceinte cinq lettres immenses : A, B, G , D ,
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