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L'avers et le revers

L'avers et le revers

Titel: L'avers et le revers
Autoren: Olivier Merle
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virevoltant autour de ma
personne comme l’hameçon près du poisson.
    — Ah, mon bon Miroul ! me dit-il à la parfin, je
te surprends céans en plein labeur et travaux d’écriture ! De paysan à
larron, puis de larron à valet, te voilà à présent historiographe de ta
vie ! N’est-ce pas que l’existence réserve bien des détours, qu’il en
faudrait être devin pour les imaginer ?
    — Si fait, Moussu Pierre, le destin n’est pas entre nos
mains, et que d’un grand malheur – j’évoquais là le cruel trépas de ma
famille – il se peut venir de surprenants bienfaits, qui me firent
apprendre à lire et écrire, et m’instruisirent en tant de choses que je
n’aurais mie approchées autrement.
    — Étrange, de fait, que ce fut le triste sort de tes parents
qui t’ouvrit l’horizon et te poussa hors de la misère. Et te souviens-tu d’eux,
ce jour d’hui, lors que tant d’années ont coulé du sablier ?
    — Comme au premier jour, Moussu Pierre, et peut-être
plus maintenant que vingt ans auparavant, comme si, au rebours du sens commun,
la vieillesse me rapprochait d’eux. Et leur remembrance me poigne toujours
autant, qu’elle en altère mon humeur les soirs de lassitude. Étrange,
dites-vous, et certes il est bien étrange que mes parents m’aient donné à la
naissance une première existence, et par leur mort une seconde, si différente
de la première.
    — Et le regrettes-tu, mon bon Miroul ?
    — Il n’y a sans doute rien à regretter, dis-je
faiblement.
    Mon maître s’approcha et posa sa main sur mon épaule, en un
geste protecteur dont il est coutumier.
    — Adonc, Miroul, ces Mémoires, qui tel un fleuve
charrient tant de souvenirs, sont-elles encore près de leur source ou bien
parviennent-elles tantôt à l’océan ?
    — J’y mets la dernière main, mon maître, humblement et
non sans difficulté, l’exercice ne m’étant point tant naturel qu’à vous.
    Avisant l’épais paquet de feuilles manuscrites qui, bien
rangé, reposait à ma sénestre sur la tablette basse jouxtant l’écritoire, mon
maître eut une exclamation où se mêlaient satisfaction et curiosité.
    — C’est cela, n’est-ce pas ? fit-il en empoignant
le paquet et le portant à hauteur de ses yeux.
    — Oui, répondis-je et le voyant tourner et retourner
entre ses doigts l’œuvre de tant de temps, l’inquiétude me saisit tout à plein
et un affreux nœud serra ma gorge.
    Mon maître posa sur moi son regard azuréen et, se gaussant
de mon désarroi qu’il remarqua, serra le manuscrit tout contre sa poitrine.
    — Apprends, mon bon Miroul, que ce qu’on écrit ne nous
appartient plus ! Il en va ainsi de mes Mémoires que tu as lues sans même
en mander l’autorisation, de par le fait qu’on les trouve en les rayonnages de
ma librairie, dans leur belle reliure de cuir, et ornées de la juste
autorisation de notre bon roi Henri IV.
    — C’est que je n’ai point encore cette autorisation,
hasardai-je.
    — Tudieu, Miroul ! Et cuides-tu que c’est toi qui
vas la lui demander, et non ton maître, qui le connaît assez pour s’en croire
son ami ?
    — Vous feriez cela pour moi ?
    — Ainsi le ferai-je, pour peu que les dites Mémoires du
sieur Miroul m’agréent et que je n’y trouve point matière à y redire.
    Comme je ne répondais rien, et montrais à ces paroles une
mine fort longue et fort soucieuse, mon maître s’esbouffa et se dirigea vers la
porte, tout en s’inclinant derechef devant ma vieille épouse.
    — Mais que crains-tu, Miroul ? jeta-t-il
par-dessus son épaule en franchissant le seuil du logis. Si la vérité n’est en
rien déguisée, ni travestie, si tu n’as point fait offense à ceux qui ne le
méritent pas, si ton discours est droit et honnête, pourquoi verrais-tu ton
maître s’y opposer ?
    Il sortit, et mon premier regard fut à ma tablette, laquelle
était tant vide que je me sentis dépossédé de moi-même, comme à la perte d’un
être cher. Ce désarroi, car c’en est un, est dur à expliquer, et je gage, plus
encore à entendre, et je ne saurai trouver les mots pour le faire, d’aucuns
doctes professeurs ayant là-dessus déjà déversé leur râtelée en de savants
volumes. Ce que j’en dirai, à mon niveau et de mon humble expérience, est qu’on
en perd l’appétence de l’existence, tourne en rond ne sachant plus que faire,
passe devant nos proches sans les voir ni même les reconnaître, et que l’on est
comme
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