Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
La Sorcière

La Sorcière

Titel: La Sorcière
Autoren: Jules Michelet
Vom Netzwerk:
soutenu, n'avait que faire d'avoir raison. Il n'en prend pas la peine. Sa défense est charmante de légèreté. Il ne daigne pas même s'accorder avec ses dépositions. Il dément ses propres témoins. Il semble plaisanter et dit du ton hardi d'un grand seigneur de la Régence, que, s'il s'est enfermé avec elle, comme on l'en accuse, « ce n'est arrivé que neuf fois ».
    « Et pourquoi l'a-t-il fait, le bon père, disaient ses amis, sinon pour observer, juger, approfondir ce qu'il en fallait croire ? C'est le devoir d'un directeur en pareil cas. Lisez la vie de la grande sainte Catherine de Gênes. Le soir, son confesseur se cachait, restait dans sa chambre, pour voir les prodiges qu'elle faisait et la surprendre en miracle flagrant.
     Mais le malheur était ici, que l'enfer, qui ne dort jamais, avait tendu un piège à cet agneau de Dieu, avait vomi, lancé, ce drac femelle, ce monstre dévorant, maniaque et démoniaque, pour l'engloutir, le perdre au torrent de la calomnie ».
    C'est un usage antique et excellent d'étouffer au berceau les monstres. Mais pourquoi pas plus tard aussi ? Le charitable avis des dames de Girard, c'était d'y employer au plus vite le fer et le feu. « Qu'elle périsse ! » disaient les dévotes. Beaucoup de grandes dames voulaient aussi qu'elle fût châtiée, trouvant exorbitant que la créature eût osé porter plainte, mettre en cause un tel homme qui lui avait fait trop d'honneur.
    Il y avait au Parlement quelques obstinés jansénistes, mais ennemis des jésuites plus que favorables à la fille. Et qu'ils devaient être abattus, découragés, voyant contre eux tout à la fois et la redoutable Société, et Versailles, la cour, le cardinal-ministre, enfin les salons d'Aix. Seraient-ils plus vaillants que le chef de la justice, le chancelier d'Aguesseau qui avait tellement molli ? Le procureur général n'hésita pas, lui ; chargé d'accuser Girard, il se déclara son ami, lui donna ses conseils pour répondre à l'accusation.
    Il ne s'agissait que d'une chose, de savoir par quelle réparation, quelle expiation solennelle, quel châtiment exemplaire la plaignante, devenue accusée, satisferait à Girard, à la Compagnie de Jésus. Les jésuites, quelle que fût leur débonnaireté, avouaient que, dans l'intérêt de la religion, un exemple serait utile pour avertir un peu et les convulsionnaires jansénistes et les écrivailleurs philosophes qui commençaient à pulluler.
    Par deux points, on pouvait accrocher la Cadière, lui jeter le harpon :
    1° Elle avait calomnié . — Mais nulle loi ne punit la calomnie de mort. Pour aller jusque-là, il fallait chercher un peu loin, dire : « Le vieux texte romain De famosis libellis prononce la mort contre ceux qui ont fait des libelles injurieux aux Empereurs ou à la religion de l'Empire. Les jésuites sont la religion. Donc un mémoire contre un jésuite mérite le dernier supplice ».
    2° On avait une prise meilleure encore. — Au début du procès, le juge épiscopal, le prudent Larmedieu, lui avait demandé si elle n'avait pas deviné les secrets de plusieurs personnes, et elle avait dit oui. Donc on pouvait lui imputer la qualité mentionnée au formulaire des procès de sorcellerie, Devineresse et abuseresse . Cela seul, méritait le feu, en tout droit ecclésiastique. On pouvait même très-bien la qualifier sorcière , d'après l'aveu des dames d'Ollioules ; que la nuit, à la même heure, elle était dans plusieurs cellules à la fois, qu'elle pesait doucement sur elles, etc. Leur engouement, leur tendresse subite si surprenante, avaient bien l'air d'un ensorcellement.
    Qui empêchait de la brûler ? On brûle encore partout au dix-huitième siècle. L'Espagne, sous un seul règne, celui de Philippe V, brûle 1600 personnes, et elle brûle encore une sorcière en 1782. L'Allemagne, une, en 1751 ; la Suisse, une aussi, en 1781. Rome brûle toujours, il est vrai sournoisement, dans les fours et les caves de l'inquisition 37. .
    « Mais la France, du moins, sans doute, est plus humaine ? » — Elle est inconséquente. En 1718, on brûle un sorcier à Bordeaux 38. . En 1724 et 1726, on allume le bûcher en Grève, pour les délits qui, à Versailles, passaient pour des jeux d'écoliers. Les gardiens de l'enfant royal, M. le Duc, Fleury, indulgents à la cour, sont terribles à la ville. Un ânier et un noble, un M. des Chauffours, sont brûlés vifs. L'avènement du cardinal-ministre ne peut être mieux
Vom Netzwerk:

Weitere Kostenlose Bücher