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La Sorcière

La Sorcière

Titel: La Sorcière
Autoren: Jules Michelet
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mademoiselle Cadière (comme la femme de Putiphar) l'avait tenté, essayé d'ébranler sa vertu. Si ce la avait été vrai, si elle lui eût fait tant d'honneur que de faiblir un peu pour lui, il n'en eût été que plus lâche de l'en punir, d'abuser d'un mot étourdi. Mais une telle éducation de page et de séminariste ne donne ni honneur ni l'amour des femmes.
    Elle se démêla vivement et très-bien, le couvrit de honte. Les deux indignes commissaires du Parlement la voyaient répondre d'une manière si victorieuse, qu'ils abrégèrent les confrontations, lui retranchèrent ses témoins. De soixante-huit qu'elle appelait, ils n'en firent venir que trente-huit (in-12, t. I, p. 62). N'observant ni les délais, ni les formes de justice, ils précipitèrent la confrontation. Avec tout cela, ils ne gagnaient rien. Le 25 et le 26 février encore, sans varier, elle répéta ses dépositions accablantes.
    Ils étaient si furieux, qu'ils regrettaient de n'avoir pas à Toulon le bourreau et la question « pour la faire un peu chanter ». C'était l 'ultima ratio . Les Parlements, dans tout ce siècle, en usèrent. J'ai sous les yeux un véhément éloge de la torture 36. , écrit en 1780 par un savant parlementaire, devenu membre du Grand Conseil, dédié au Roi (Louis XVI), et couronné d'une flatteuse approbation de Sa Sainteté Pie VI.
    Mais, au défaut de la torture qui l'eût fait chanter, on la fit parler par un moyen meilleur encore. Le 27 février, de bonne heure, la sœur converse qui lui servait de geôlière, la fille de la Guiol, lui apporte un verre de vin. Elle s'étonne ; elle n'a pas soif ; elle ne boit jamais de vin le matin, et encore moins de vin pur. La converse, rude et forte domestique, comme on en a dans les couvents pour dompter les indociles, les folles, ou punir les enfants, enveloppe de son insistance menaçante la faible malade. Elle ne veut boire, mais elle boit. Et on la force de tout boire, le fond même, qu'elle trouve désagréable et salé (p. 243-247).
    Quel était ce choquant breuvage ? On a vu, à l'époque de l'avortement, combien l'ancien directeur de religieuses était expert aux remèdes. Ici le vin pur eût suffi sur une malade débile. Il eût suffi pour l'enivrer, pour en tirer le même jour quelques paroles bégayées, que le greffier eût rédigées en forme de démenti complet. Mais une drogue fut surajoutée (peut-être l'herbe aux sorcières, qui trouble plusieurs jours) pour prolonger cet état et pouvoir disposer d'elle par des actes qui l'empêcheraient de rétracter le démenti.
    Nous avons la déposition qu'elle fit, le 27 février. Changement subit et complet ! apologie de Girard ! Les commissaires (chose étrange) ne remarquent pas une si brusque variation. Le spectacle singulier, honteux, d'une jeune fille ivre, ne les étonne pas, ne les met pas en garde. On lui fait dire que Girard ne l'a jamais touchée, qu'elle n'a jamais eu ni plaisir ni douleur, que tout ce qu'elle a senti tient à une infirmité. C'est le carme, ce sont ses frères qui lui ont fait raconter comme actes réels ce qui n'a été que songe. Non contente de blanchir Girard, elle noircit les siens, les accable et leur mot la corde au cou.
    Ce qui est merveilleux, c'est la clarté, la netteté de cette déposition. On y sent la main du greffier habile. Une chose étonne pourtant, c'est qu'étant en si beau chemin, on n'ait pas continué. On l'interroge un seul jour, le 27. Rien le 28. Rien du 1 er au 6 mars.
    Le 27 probablement, sous l'influence du vin, elle put parler encore, dire quelques mots qu'on arrangea. Mais, le 28, le poison ayant eu tout son effet, elle dut être en stupeur complète ou dans un indécent délire (comme celui du Sabbat), et il fut impossible de la montrer. Une fois d'ailleurs que sa tête fut absolument troublée, on put aisément lui donner d'autres breuvages, sans qu'elle en eût ni conscience ni souvenir.
    C'est ici, je n'en fais pas doute, dans les six jours, du 28 février au 5 ou 6 mars, que se place un fait singulier, qui ne peut avoir eu lieu ni avant ni après. Fait tellement répugnant, si triste pour la pauvre Cadière qu'il est indiqué en trois lignes, sans que ni elle ni son frère aient le cœur d'en dire davantage (p. 249 de l'in-folio, lignes 10-13). Ils n'en auraient parlé jamais si les frères poursuivis eux-mêmes n'avaient vu qu'on en voulait à leur propre vie.
    Girard alla voir la Cadière ! prit sur elle encore d'insolentes,
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