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La polka des bâtards

La polka des bâtards

Titel: La polka des bâtards
Autoren: Stephen Wright
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de faire entrer un pasteur dans un bordel. » Puis,
s’adressant au matelot trapu et barbu à bâbord de Maury, il ordonna
sèchement : « Va chercher les chaînes ! » À l’instant où
l’emprise se relâcha, Maury se dégagea sans peine, se précipita vers
l’écoutille avec une agilité juvénile et disparut. « Il est sacrément
ingambe, pour son âge et son état », remarqua Wallace, tandis que tous se
ruaient en désordre à sa poursuite.
    Ils trouvèrent bientôt le sécessionniste invétéré en
équilibre précaire sur le bastingage de tribord : une parenthèse
surnaturelle l’avait saisi, métamorphosant ses traits hagards – même le
réseau de rides s’était miraculeusement effacé – en une version plus jeune
et plus douce de son visage implacable et érodé. Ses cheveux et sa barbe, qui
flottaient bibliquement dans le vent salé, paraissaient plus blancs que
d’ordinaire, magiquement illuminés de l’intérieur, comme si la ferveur qui
couvait depuis longtemps en lui, et nourrissait tendrement chaque méchanceté,
chaque indignité, chaque tumeur maligne de sa vie obtuse, avait fini par
s’embraser.
    « Monsieur Maury, je vous en conjure, implora le
capitaine Wallace. Reprenez vos esprits. Est-ce donc ainsi que vous souhaitez
mourir ? Le triste souvenir que vous voulez laisser ?
    — Personne ne m’enchaînera sur cette misérable boule de
glaise.
    — Grand-père, commença Liberty d’une voix étonnamment
calme, si vous ne vous souciez pas de vous-même, pensez au moins à votre
famille.
    — Quelle famille ? J’ai sacrifié trois fils à
cette déplaisante affaire, et le quatrième ne m’a pas donné signe de vie depuis
six mois. Mes deux filles ne sont plus, et Ida, pauvre femme, a perdu l’esprit
sinon la vie. Tout ce qu’il me reste, hélas, c’est toi. Pourquoi ai-je vécu si
vieux, si c’est pour voir une lignée noble et fière dégénérer misérablement et
sombrer dans le yankeeisme, la négrophilie et la lâcheté ?
    — Mais votre pays ? Il va falloir rebâtir le Sud.
Et les hommes valides seront rares.
    — Mon pays est un cirque ambulant de nains et de
bâtards.
    — Monsieur Maury, intervint le capitaine Wallace, une
fois de plus, je dois vous demander de descendre immédiatement de ce
bastingage.
    — Libre je suis né, libre je mourrai », proclama
Maury d’un air de défi. Alors, dardant un dernier regard quichottesque au cœur
de cette douleur perpétuelle que Liberty en était venu à considérer comme son
âme, Maury leva ses mains suppliantes au ciel immaculé et se jeta brusquement
en arrière dans la clémence des vagues. Aussitôt, on mit les canots à la mer et
on inspecta les parages jusqu’au crépuscule, mais en vain.
     
    « Un sacré bonhomme, votre papy », médita le
capitaine Wallace en examinant le contenu d’un verre bien tassé de bourbon
millésimé issu de sa réserve personnelle, rarement partagée, mais où cette fois
il avait volontiers puisé, y voyant « le remède le plus efficace contre le
deuil, le chagrin et le marasme général ». Il s’était enfermé avec Liberty
dans sa cabine, dans le but d’atteindre un stade d’ébriété maximal en un temps
minimal. « Un peu illuminé, peut-être, mais dans le Vieux Sud ces
personnages pullulent comme des lapins. Ça m’a toujours un peu rappelé le pays,
vous savez : la culture intensive de l’excentricité est pratiquement un
passe-temps national dans notre bonne Angleterre. » Remarquant le regard
distrait de Liberty, il se hâta d’ajouter : « Mais voilà que je
bavasse comme une poissonnière ! Est-ce que ce breuvage vous
convient ?
    — Comment ? Qu’est-ce que c’est ? sursauta
Liberty, tout juste conscient qu’à cet instant le contenu de son esprit était exactement
égal à zéro. Oh, oui, bien sûr, c’est le meilleur que j’aie jamais bu. »
Mais il n’avait guère touché à son verre.
    « Cette bouteille-là m’a été offerte dans un coffret
scellé par un membre un peu collet monté de l’aristocratie de Wilmington pour me
remercier de quelques services délicats que j’avais rendus à son épouse. J’ai
entendu dire qu’il était mort dans une épidémie, et qu’il avait passé ses trois
derniers jours à suer comme un porc. » Faute de réaction à ses
commentaires éclairants, Wallace s’affaira à passer l’ongle de son pouce dans
un gigantesque T calligraphié, gravé au couteau dans la surface
défigurée
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