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La pique du jour

La pique du jour

Titel: La pique du jour
Autoren: Robert Merle
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le besoin
de venir prier en ce lieu. Cela me toucha, je ne saurais dire pourquoi. Et
quand il se leva, je me levai aussi et le saluai sans piper mot, par respect
pour le lieu saint, salut auquel il répondit de l’œil, mais non de la tête et
du bec, ayant encore, j’imagine, ses oraisons aux lèvres. Toutefois dès que
nous fûmes hors, il me salua maigrement et gravement à l’espagnole, mais avec
un petit brillement amical de l’œil, comme s’il eût été surpris et ravi de me
trouver à cette heure dedans l’église, les Français en Espagne ayant la
réputation d’être de tièdes catholiques.
    Comme nous étions debout sur le parvis à échanger ces
solutions, nous fûmes croisés par deux moines qui entraient dans la basilique.
    — C’est la relève, dit Don Fernando.
    — La relève ?
    — Vous avez observé, Señor Marqués, deux moines
qui priaient dans le chœur. Ceux-là vont sortir, relevés par ceux-ci. Ils sont
seize en tout, choisis parmi les plus pieux et les plus saints et, trois heures
durant, ils prient par deux pour le salut de Sa Majesté.
    — Si j’entends bien, la prière dure jour et nuit.
    — Oui-da, Señor Marqués.
    —  Et qui l’a ordonné ainsi ?
    — Mais qui sinon le roi ? dit Don Fernando,
l’étonnement se peignant sur sa face chevaline.
    — Et combien de temps se prolongera cette
oraison ?
    — Je ne sais, dit Don Fernando : Sa Majesté
ne lui a pas assigné de limite. Señor Marqués, reprit-il, avez-vous ouï
la bonne nouvelle ? Dans l’affre, la peine et l’affliction où se débat
Sa Majesté, Elle va éprouver un grand contentement. Plaise à vous de me
suivre, Señor Marqués, je vais vous en montrer l’objet.
    L’Escorial se compose d’un enchevêtrement de quadrilatères
et d’un dédale de cours intérieures qui communiquent entre elles, et Don
Fernando m’y entraîna, passant de l’ombre au soleil et du soleil à l’ombre,
faisant un pas sur ses maigres gambes de héron, tandis que j’en faisais deux. À
la parfin, nous advînmes à un lieu bizarre où je vis des guillaumes pauvrement
vêtus assis sur un gros madrier au soleil et mangeant une soupe fumante, leurs
écuelles sur les genoux.
    — Felipe, dit Don Fernando, d’un ton pieux et
atendrézi, est excessivement charitable et il a voulu que le monastère
accueille et nourrisse quelques pauvres, dont les moines prendraient grand
soin. Cette bonne soupe est payée sur ses deniers.
    — Voilà qui est louable, dis-je en envisageant ces happy
few et songeant aux légions d’affamés et de mendiants qu’en ma chevauchée
de la frontière française à Madrid, j’avais partout encontrés.
    À ce moment, un moine qui paraissait être en autorité en ces
lieux s’approcha de Don Fernando de Toledo et le chambelán lui ayant dit
quelques mots à mi-voix, le religieux fit lever les pauvres, lesquels, leur
écuelle à la main, allèrent s’accroupir un peu plus loin, le dos appuyé contre
le mur.
    — La poutre sur laquelle ces pauvres gens étaient
assis, dit Don Fernando, nous la cherchons depuis trois jours, d’ordre de
Sa Majesté. Elle provient d’un galion portugais, lequel galion avait pour
nom Les cinq plaies (par où il faut entendre les cinq plaies de notre
Seigneur Jésus-Christ). Ayant été dévasté par un incendie, le galion s’échoua
dans la vase du port de Lisbonne, où Felipe le vit et s’étonna de
l’imputrescibilité de sa quille. L’arbre qui avait fourni son bois était, lui
dit-on, originaire aes Indes orientales et s’appelait, dans lesdites Indes, l’arbre
du paradis. Ce nom, le nom du galion, et l’incorruptible qualité du bois
tant frappèrent le roi qu’il ordonna qu’on emmenât ce madrier de Lisbonne à
l’Escorial. On y tailla le crucifix du maître-autel de notre basilique. Le
reste qu’on avait égaré, vous l’avez devant vous. Il servait de banc. Et
Sa Majesté a commandé que, dès qu’on le trouverait, on le transportât dans
sa cellule, afin qu’il l’ait constamment sous les yeux avant que, le moment
venu, on en tire les planches de son cercueil…
    — Mais, dis-je, pourquoi ce bois plutôt qu’un
autre ? Parce qu’il est imputrescible ?
    — Ha, Señor Marqués, dit Don Fernando en
rejetant sa longue face en arrière comme s’il allait hennir, point
seulement ! point seulement ! Il y a dans cette histoire des
coïncidences si émerveillables que Felipe II n’y peut voir que la main de
Dieu. Primo,
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