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La pique du jour

La pique du jour

Titel: La pique du jour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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Fogacer, c’est la durée de
la confession. Elle occupa trois jours…
    — Trois jours ?
    — Dieu bon ! dit La Surie, trois jours !
C’est long, même pour une conscience royale !
    — L’homme est fort tatillon, dit Fogacer. Il a dû
ranger dans un coin de ses mérangeoises le rouleau de ses crimes, et il a voulu
le dévider tout entier devant Fray Diego de Yépès, sans en omettre un seul, de
peur que cette omission précisément lui valût l’enfer.
    —  Y después [119]  ?
    — Sa confession terminée, il a fait ouvrir un petit
coffret contenant le crucifix que Charles Quint tenait dans ses doigts quand il
est mort, disant qu’il le voulait tenir aussi dans les siens à l’heure de sa
fin. Puis il commanda aux religieux dépositaires des clés dans el Panteon de
los Reyes…
    —  Quoi ? dit La Surie, les cercueils
ont des clés ?
    — Assurément ! Et Felipe a commandé auxdits moines
d’ouvrir celui de son père et de lui dire la manière de son ensevelissement,
désirant être enseveli en même guise.
    — Macabre méticulosité, dit La Surie.
    — Et qui lui vaut de présent quelque tourment, dit
Fogacer, car il désire aussi qu’on fasse son cercueil dans le reste du bois qui
a servi à sculpter la grande croix du maître-autel, et encore qu’on soit sûr
que ce reste n’a point quitté l’Escorial, on a failli jusque lors à le
retrouver.
    Fogacer départi, La Surie tira vers la verrière, jeta
un long coup d’œil à la Sierra de Guadarrama (vue qu’il disait aimer
prou pour sa grandeur et sa sauvagerie) et se retournant, accoté à ladite
verrière, m’envisagea d’un œil songeard. J’avais dû de force forcée lui dire ce
qu’il en était de mon commerce avec Doña Clara, pour la raison que mon huis ne
comportant pas de verrou (les moines se défiant de la nature humaine) je ne
voulais point le voir surgir chez moi à l’improviste.
    — Mon Pierre, dit-il enfin, à bien vous examiner, je
dirais comme notre mendicante Alfonso à Rome que votre « tant belle
face porte un’aria imbronciata [120]  ».
    — Je ne vois pas, dis-je, qui porte un autre air en ce
caveau…
    — Mais c’est que vous, Moussu, vous avez au moins une bonne
raison d’être félice.
    — Par malheur, ce bonheur-là me donne une bonne raison
de ne pas l’être.
    — J’entends bien que l’avenir couventin de la dame vous
désole, mais vous n’en êtes pas la cause.
    — J’en suis l’occasion. Cela suffit à me déconforter.
Ha, mon Miroul ! Il faut croire qu’il y a dans l’Escorial je ne sais quel
souffle qui pourrit tout ! Pour la première fois de ma vie, je fais
l’amour tristement…
    La touffeur en cette fin d’août était si écrasante qu’il
m’arriva, quelque temps après cet entretien, d’aller aux heures chaudes de
l’après-repue chercher la fraîcheur dedans la basilique. Ce lieu, de reste, me
plaisait, étant le seul en l’Escorial qu’on eût consenti à orner, et sans les
officiants ni les choristes, il y régnait un silence propice aux songes, je
n’ose dire aux méditations, ce terme me paraissant ambitieux, encore que, dans
ce désert de la Ilanura, et cette aridité du monastère, je me suis
souvent questions posées sur la finalité de ma vie. Il eût assurément fallu une
foi plus simplette ou plus robuste que la mienne pour croire que l’enfer et le
paradis réglaient tout. Le premier me semblait mal accordé à l’infinie bonté de
Dieu et j’eusse voulu que personne ne s’y encontrât, pas même Felipe II
qui le redoutait si fort. En outre, je n’ai jamais nourri grande estime pour
ces prêtres et ces moines qui, pour rendre leurs pénitents plus dociles ou plus
donnants, ajoutaient à la peur naturelle de la mort la peur des flammes
éternelles et dessinaient à leurs yeux terrifiés la peu plaisante image d’un
dieu vengeur. Quant au paradis, de quelque couleur qu’on nous le peigne, il me
paraissait impossible à concevoir et même à imaginer, dès lors que
disparaissaient, avec notre poussière, l’esprit et le corps qui l’avaient animé [121] .
    J’en étais là de ce pensement quand, à deux bancs devant moi
sur ma dextre, dans la basilique, je vis Don Fernando de Toledo – le chambelán qui, de prime, m’avait accueilli à Madrid – agenouillé sur un prie-Dieu,
la face dans ses mains. Je trouvais émerveillable qu’oyant deux offices par
jour, la messe et les vêpres, il éprouvât encore, dans l’intervalle,

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