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La Malédiction de la Méduse

La Malédiction de la Méduse

Titel: La Malédiction de la Méduse
Autoren: Érik Emptaz
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choix. En revanche dès qu’il s’agit de garder le bord, ou d’aller soigner un soldat mal embouché, je suis toujours le premier désigné. Quand tout va bien, je me moque de ces mesquineries, mais, certains jours comme ce matin, la moindre m’atteint. « C’est comme ça pour tout le monde, quand tu seras installé dans la carrière, ça passera », m’a dit un voisin de table pharmacien. Sans doute. Seulement je ne rêve pas de m’installer dans la carrière mais d’en sortir. Je suis là par erreur. Je ne veux surtout pas devenir comme mes supérieurs, la panse distendue de trop de ragoût et la tête emplie de trop de fatuité, à raconter à table cent fois les mêmes histoires d’amputations au sabre ou de trépanations ratées. Pour l’immédiat, le gros de mon activité consiste à dire à des gens qui vomissent que cela va passer. À mettre des bandages sur des mains ou des pieds de marins maladroits. Peu de temps après notre départ nous avons, paraît-il, failli rester sur les brisants au large de l’île d’Oléron. Je dormais comme un sonneur et j’avoue ne m’être rendu compte de rien.
    Dans la brise tiède un carillon soudain me tire de ma mélancolie bilieuse. Les cloches de plusieurs campaniles, que nous apercevons désormais distinctement en approchant du môle, sonnent à pleine volée comme pour saluer notre entrée dans le port. Nous traînons dans notre sillage deux filets qui ballottent à quelques mètres l’un de l’autre. Ayant goûté voilà quelques jours d’un thon de belle taille pêche par un officier, j’ai cru que des marins s’y mettaient à leur tour pour agrémenter l’ordinaire. Il n’en est rien, m’a indiqué l’un d’eux, c’est la blanchisserie. C’est ainsi que les matelots lavent leurs effets. Les sonneurs de cloches de Ténériffe savent-ils qu’en même temps que les navires du roi de France, ils saluent la lessive de ses marins ?
    Nous sommes à portée de pistolet de Santa Cruz et un long canot nous aborde par bâbord. Deux matelots déroulent une échelle de coupée en haut de laquelle je vois bientôt apparaître un homme vigoureux, le visage marqué par le soleil et une barbe de plusieurs jours. Il s’adresse aux officiers qui ont rejoint les deux marins : «  Hola señores ! Soy el pilote del puerto de Santa Cruz…» Un nommé Caceres, un passager espagnol qui fait office d’interprète, traduit ces mots au chef de bataillon Poinsignon qui lui répond aussitôt : « Dites à ce brave que le gouverneur du Sénégal entend saluer celui de Ténériffe et que nous aimerions visiter la ville et nous y procurer du vin, des filtres et des fruits dont on dit qu’ils sont fort goûteux par ici…»
    J’aime bien écouter la langue espagnole, elle a certes de prime abord une rugosité qui se prête aux propos autoritaires, mais parlée par une de leurs belles femmes en noir, on sent d’emblée qu’elle convient aussi aux mots de la sensualité. Si j’en viens à évoquer les beautés ibères, ce n’est point que je prenne le pilote pour l’une d’elles. C’est que Corréard, mon voisin chasseur de cafards, nous a entrepris sur les belles à mantilles qui, à l’en croire, cachent derrière leur voilette un goût prononcé pour le beau militaire. Il est intarissable sur ces señoritas aux cheveux de jais et au tempérament brûlant qui, sur le seuil de leurs maisons blanchies à la chaux, guettent l’officier, « tremblantes de désir et de volupté ». Corréard a beau avoir le lyrisme un rien conventionnel, sa description nous laisse comme un regret.
    Le pilote a regagné le quai pour transmettre les desiderata du gouverneur Schmaltz au capitaine du port. Ce dernier s’est rendu à bord accompagné d’un médecin et d’un interprète et a rapidement accordé les autorisations nécessaires après que chacun de ceux qui embarquent sur le canot eut juré n’être atteint d’aucune maladie. J’ai un court instant espéré que ma qualité de médecin m’autoriserait cette promenade, ou au moins que le chirurgien-major Follet, qui n’affectionne guère les fortes chaleurs, me laisserait sa place. Mais c’était une erreur, mon imposant supérieur hiérarchique sue déjà à l’avant du canot, la mine sanguine et l’air suffisant.
    Je regarde la petite embarcation se diriger vers Santa Cruz, avec la curieuse impression que ce n’est pas elle qui s’éloigne mais nous qui la laissons. Je n’y comprends rien,
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