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La Malédiction de la Méduse

La Malédiction de la Méduse

Titel: La Malédiction de la Méduse
Autoren: Érik Emptaz
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me semblent interminables. Nous sommes le 14 juin, cela fait trois jours que j’ai embarqué mais La Méduse est toujours à l’ancre. En partance sans partir, je n’ai pas le mal de mer, j’ai celui du pays qu’il me tarde pourtant de quitter.
    Des barques sont encore arrimées à la coque. Sous l’œil vigilant d’un argousin armé, quatre forçats en sueur, leurs chaînes pendant à la ceinture, hissent les dernières caisses qui ont l’air fort pesantes. Comme si ces pauvres bougres allaient sauter à la mer pour s’enfuir à bord d’un tonneau. Je suis de méchante humeur. Ma seule satisfaction est d’être débarrassé du garde-chiourme. Miosec est retourné à terre en me disant qu’il m’enviait. Qu’ont-ils tous à me seriner que mon départ est une aubaine quand c’est un crève-cœur ?
    Hier, c’est un marchand des quais de Rochefort qui me faisait l’article : « Ah, La Méduse , quel beau bateau ! 47 mètres de long, 12 mètres de large, avec la coque renforcée par des plaques de cuivre », je ne mesurais pas ma chance d’avoir l’honneur d’embarquer sur un « si fier bâtiment ». Le commerçant connaissait par cœur les cotes et les dimensions du navire et même le chantier de Paimbeuf où il a été assemblé : « Ces frégates-là, même sans donner toute la toile, ça vous rallie les Antilles en vingt-cinq jours, peut-être moins ! » À condition de larguer les amarres !
    Immobile, la grosse frégate n’en a pas moins fière allure, avec sa coque de bois presque noir et son nom gravé en lettres d’or. À côté d’elle, les autres bateaux de l’expédition La Loire , L’ Argus et L’Écho , une flûte, un brick et une corvette ont l’air petits et patauds. Plusieurs fois déjà, l’ancre a été remontée, le cliquetis de chaîne a donné à chacun l’espoir de mettre enfin les voiles, mais si les manœuvres étaient bien réelles, l’appareillage ne l’était pas ! « Problème de passagers, de chargement et difficultés administratives », m’a précisé un officier au visage grêlé de petite vérole à qui, en échange d’un cordial pour calmer sa nausée, j’ai demandé des explications. Pour ce qui est des lenteurs de l’administration, je confirme. Il m’a fallu des heures de tractations et pas moins de 12 signatures pour réceptionner les caisses de matériel médical. Mais bonnes ou mauvaises, je me fous des raisons de notre retard, à certains moments, voir la terre si proche et de ne pouvoir m’y rendre est presque insupportable. Je m’efforce à l’activité pour n’y point trop penser. Je ne connais pas encore grand monde à bord. Trois jours passés avec Miosec et ses forçats m’ont certes beaucoup renseigné sur le monde carcéral et sur ses habitudes (j’ai même appris que le garçon d’amphithéâtre de l’école de médecine était un forçat), mais, du coup, je n’ai guère eu le temps de lier connaissance avec mes compagnons. Quant aux contacts avec mes supérieurs, ils sont réduits à leur plus simple expression. Le chirurgien Follet est installé avec l’état-major, il m’a juste prié de prendre soin des passagers souffrant du mal de mer.
    J’ignore combien nous sommes à bord. « Pas plus de trois centaines mais cosmopolites comme une armée du petit Corse », m’a affirmé un jeune lieutenant. Les officiers ne disent plus « l’Empereur ». Même ceux qui ont cru à son retour pendant la première Restauration. En revanche, dans la troupe entassée au milieu des canons de l’entrepont, Waterloo ou non, Napoléon a toujours droit à sa couronne impériale. J’ai pu le constater en soignant tout à l’heure un Piémontais dont la main était clouée sur une table par un long couteau qu’il appelait sa sacagne. Il jouait à ce jeu idiot, mais fort apprécié des soldats et des matelots, qui consiste à poser la main à plat sur une table, à écarter les doigts et à planter de plus en plus vite sa lame entre, sans les toucher bien sûr. Quand j’ai retiré le couteau, le Piémontais a crié « Vive l’Empereur ! » et parmi les quelque cent cinquante soldats des deux compagnies cantonnées dans les batteries, plusieurs dizaines ont aussitôt repris en chœur. Miosec aussi, entre deux histoires de bagne, m’avait parlé de l’Empereur. Lui, l’avait vu en chair et en os, mais pas au sommet de sa gloire. C’était le 15 juillet de l’année dernière sur ce même port de Rochefort
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