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La Malédiction de la Méduse

La Malédiction de la Méduse

Titel: La Malédiction de la Méduse
Autoren: Érik Emptaz
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Bienvenue dans l’enfer des cancrelats ! La botte s’abat d’un coup sec, le bruit est anormalement mou. J’ai tapé sur du cuir, une autre botte a écrasé le cafard avant moi !
    C’est en entendant son propriétaire se manifester que je comprends ce qui s’est passé : « Désolé mon vieux, je me croyais seul à chasser…» La voix provient du cadre qui se balance à côté et qui était vide hier. Un bras sort de l’ouverture et la tête apparaît aussitôt. Des favoris châtain encadrent un visage quadragénaire aux joues bien remplies : « Corréard, géographe et chasseur d’orthoptères… celui-ci vous appartient ! » dit-il en me tendant sa botte sous laquelle est collé le cancrelat écrabouillé… « Euh, Jean Baptiste Savigny, chirurgien, vous avez été plus prompt que moi, ce trophée est le vôtre ! » L’importun que je subodore un rien solennel fait partie de la Société philanthropique des explorateurs du Cap-Vert, sur la santé de laquelle je suis censé veiller, mais dont j’ignore la composition. Lui, en revanche, connaît mon nom, mon grade, mes origines et mes fonctions. Mon sentencieux géographe est un obsessionnel de la précision. Il mesure la température de l’eau, scrute les deux, sonde les fonds et prend note du tout avec une méticulosité mécanique. Du capitaine aux commis de marine, de l’inspecteur des poudrières et batteries aux boulangers… il sait au mousse près les effectifs et qualifications de l’équipage. Il peut décliner avec le même souci du détail la liste des membres du petit corps expéditionnaire : « Un ingénieur géographe, deux cultivateurs naturalistes : un pour les cultures de nos contrées, un pour les cultures exotiques, un officier de marine, vingt ouvriers sans vous oublier, cher ami de la faculté…» Il n’épargne pas un bouton de guêtre. Et voilà qu’il enchaîne sur ses repas, qu’il prend à la table de l’état-major : « Les mets y sont moins raffinés qu’à celle du commandant mais la conversation y est d’un bien meilleur niveau. Il doit d’ailleurs en être de même à celle des officiers de santé ? » Il me suffit, aux lisières du sommeil, d’acquiescer, et l’intarissable poursuit avec le descriptif des cochons, moutons et volailles embarqués à fond de cale pour assurer de la viande fraîche pendant la traversée… « À ces bêtes il convient d’ajouter une vache laitière de…» Mon sommeil est de courte durée car l’infatigable emmerdeur se lève à 5 heures pour piquer une tête dans les flots et faire le tour du bateau à la nage. « C’est revigorant pour les sangs et permet de se laver en même temps. » Et cela évite au voisin de chambrée une glose sur les bienfaits de la charrue à cinq socs pour les cultures vivrières dans le pays de Galam, ou le descriptif technique complet de l’anémomètre à rotation mécanique, voire une étude comparée des mérites respectifs du buffle indigène et de la Noiraude, vache laitière bien-aimée.

CHAPITRE V
    Je n’aime pas les mouettes et leur duplicité. Blanc plumage mais bec acéré, prêtes à vous bouffer un doigt pour un détritus ou un poisson crevé. Elles sont une centaine à piailler suraigu dans notre sillage, à nous survoler sans crainte. Elles indiquent la terre comme le vautour la charogne. Je suis maussade. Pourtant l’air de ce 27 juin est doux et le ciel immaculé. Une magnifique falaise de verdure se dresse devant nous. L’équipage a réduit la toile, nous n’allons pas tarder à jeter l’ancre après dix jours de navigation qui m’ont semblé interminables. Nous devions nous arrêter à Madère, mais nous nous sommes contentés de passer près de ses côtes. Je n’ai vu Funchal et Ponta do Sol que de loin. Et il est dit qu’aujourd’hui je ne foulerai pas non plus le sol des îles Canaries. Je dois rester à bord. Seuls le gouverneur Schmaltz et quelques privilégiés de son entourage se rendront en chaloupe à Santa Cruz. L’égalité civile, la plus belle pourtant des valeurs révolutionnaires n’a, semble-t-il, pas cours chez les militaires. Quant aux privilèges d’un chirurgien surnuméraire de troisième classe, si tant est qu’ils aient un jour existé, ils sont assurément abolis. J’ai certes droit à la table des officiers de santé, mais j’en suis le benjamin, le bleu, l’enrôlé de dernière minute et quand les plats arrivent à moi, il me reste rarement les morceaux de
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