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La jeune fille à la perle

La jeune fille à la perle

Titel: La jeune fille à la perle
Autoren: Tracy Chevalier
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d’innombrables yeux, d’écaillés, de mains et de nageoires.
Frans avait l’art d’inventer les monstres les plus inattendus. Agnès était
effrayée. J’arrêtais toujours le jeu, ayant trop tendance à voir les choses
telles qu’elles étaient pour en inventer d’autres.
    Des bateaux glissaient sur le
canal, en direction de la place du Marché. Ce n’était toutefois pas jour de
marché, jour où le canal était si encombré que l’on n’en voyait plus l’eau. Un
chaland apportait du poisson d’eau douce aux étals du pont Jeronymous. Un
autre, chargé de briques, voguait au ras de l’eau. L’homme qui le menait à
l’aide d’une gaffe me cria bonjour. Je me contentai de le saluer de la tête de
sorte que le bord de ma coiffe cache mon visage.
    Après avoir franchi le canal,
je me retrouvai sur la grande place du Marché qui, à cette heure matinale,
grouillait de gens se rendant chez le boucher, chez le boulanger ou allant
faire peser du bois à la bascule publique. Les enfants faisaient des courses
pour leurs parents, les apprentis pour leurs maîtres, les servantes pour les
familles chez qui elles travaillaient. Les sabots des chevaux et les roues des
voitures résonnaient sur les pavés. À ma droite, se dressait l’hôtel de ville
avec sa façade dorée, dont les visages de marbre blanc contemplaient la place
depuis les claveaux au-dessus des fenêtres. À ma gauche, on apercevait la
Nouvelle-Église, où j’avais été baptisée seize ans plus tôt. Sa tour, haute et
étroite, me rappelait une volière en pierre. Un jour, notre père nous y avait
fait grimper. Je ne devais jamais oublier le spectacle qu’offrait Delft
au-dessous de nous. Chacune de ces étroites maisons de brique, chacun de ces
toits rouges en pente raide, chacun de ces canaux verdâtres, chacune de ces
portes demeurerait à jamais dans mon esprit, minuscule mais distinct. Je me
revois demandant à mon père si chaque ville hollandaise ressemblait à cela. Il
ne put me répondre, ne s’étant jamais rendu dans une autre ville, pas même à La
Haye, à deux heures de marche.
    J’allai jusqu’au centre de la
place. Les pavés formaient une étoile à huit branches au centre d’un cercle.
Chaque branche pointait vers un quartier de Delft. Cette étoile représentait
pour moi le coeur même de la ville, en fait, le coeur même de ma vie. Frans,
Agnès et moi avions joué dans cette étoile depuis que nous étions en âge de
courir seuls au marché. Dans notre jeu préféré, l’un de nous choisissait une
branche de l’étoile, tandis que l’autre lançait un mot tel que cigogne, église,
brouette, fleur, qu’importe. L’objet de notre recherche étant ainsi déterminé,
nous nous précipitions dans la direction indiquée par l’étoile. Nous avions
ainsi exploré la majeure partie de Delft.
    Restait une branche que nous
n’avions jamais suivie. Je n’étais jamais allée dans le Coin des papistes,
quartier où vivaient les catholiques. La maison où je devais travailler n’était
qu’à une dizaine de minutes de chez nous, à peine le temps qu’il fallait pour
faire chauffer une bouilloire d’eau, mais je n’étais jamais passée devant.
    À vrai dire, je ne connaissais
pas de catholiques. Ils n’étaient pas nombreux à Delft et il n’y en avait ni
dans notre rue ni parmi les commerçants que nous fréquentions, non que nous les
évitions, mais plutôt qu’ils restaient entre eux. Disons qu’ils étaient tolérés
dans cette bonne ville, mais n’étaient pas censés faire étalage de leur foi.
Leurs offices religieux étaient célébrés dans l’intimité, dans des endroits
modestes qui, vus de l’extérieur, ne ressemblaient pas à des églises.
    Mon père avait travaillé avec
des catholiques, il m’avait dit qu’ils n’étaient pas différents de nous. Qu’ils
étaient plutôt moins guindés. Ils aimaient manger, boire, chanter et s’amuser.
À l’entendre, on aurait presque pu croire qu’il les enviait.
    Je suivis la direction vers
laquelle pointait l’étoile, traversant la place plus lentement que quiconque
car j’hésitais à laisser derrière moi sa rassurante familiarité. Je traversai
le canal, remontai le vieux quai, l’Oude Langendijck. À ma gauche, le canal
longeait la rue, il la séparait de la place du Marché.
    À l’endroit où l’Oude
Langendijck rejoignait Molenpoort, j’aperçus quatre fillettes assises sur un
banc à côté d’une porte ouverte. Elles étaient
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