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La Guerre et la Paix - Tome III

La Guerre et la Paix - Tome III

Titel: La Guerre et la Paix - Tome III
Autoren: Léon Tolstoï
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volonté de quelques héros. Mais dans les Croisades nous voyons vraiment un événement qui occupe une place définie, et sans lequel l’histoire moderne de l’Europe serait dépourvue de sens ; pourtant les chroniqueurs du Moyen Âge n’y ont vu que l’effet de la volonté de quelques personnages. Et si nous en venons aux grandes invasions, personne aujourd’hui ne croira que le renouvellement du monde ait jamais dépendu de la fantaisie d’Attila. Plus l’on se reporte en arrière, dans l’histoire, plus douteuse apparaît la liberté des acteurs des événements, et plus évidente la loi de la nécessité.
    Troisième base d’examen : la plus ou moins grande possibilité pour nous de pénétrer l’enchaînement sans fin des causes, qui est l’exigence inévitable de notre raison, et dans laquelle chaque phénomène intelligible, et, par suite, chaque acte de l’homme, doit avoir sa place déterminée, comme conséquence de ceux qui le précèdent et cause de ceux qui le suivent.
    Il en ressort que nos actes et ceux d’autrui nous apparaissent, d’un côté, d’autant plus libres et moins soumis à la nécessité que nous connaissons mieux les lois physiologiques, psychologiques, historiques tirées de l’observation, auxquelles l’homme est soumis, et que nous étudions avec plus d’exactitude la cause physiologique, psychologique ou historique d’un acte ; d un autre côté, l’activité observée nous apparaît d’autant plus simple et, le caractère et l’esprit de l’homme que nous considérons moins complexe.
    Quand nous ne comprenons pas la cause d’un acte, criminel, vertueux ou indifférent par rapport au bien ou au mal, nous avons tendance à voir en lui la plus forte dose de liberté. S’il s’agit d’un crime, nous réclamons avant tout sa punition, s’il s’agit d’un acte de vertu, nous le couvrons d’éloges. S’il s’agit de cas indifférents, nous voyons en eux la marque de la plus grande personnalité, de l’originalité, de la liberté. Mais si nous connaissons, ne fût-ce qu’une seule des causes de cet acte, nous trouvons en lui déjà une certaine dose de nécessité, nous sommes disposés à plus de clémence pour le crime, nous attribuons moins de mérite à l’acte de vertu, nous trouvons moins de liberté dans l’acte qui nous paraissait original. Le fait qu’un criminel a grandi dans un milieu de malfaiteurs atténue déjà sa culpabilité. Le sacrifice d’un père ou d’une mère qui s’accompagne de la possibilité d’une récompense nous est plus compréhensible que le sacrifice sans raison apparente, aussi éveille-t-il moins notre sympathie, nous paraît-il moins libre. Le fondateur d’une secte, d’un parti, nous étonne moins quand nous savons comment et par quoi a été préparée son action. Si nous disposons d’une longue série d’expériences, si notre observation est sans cesse orientée vers la recherche des rapports existant entre les causes et les effets, les actions humaines nous paraissent d’autant plus nécessaires et d’autant moins libres que nous lions plus sûrement les effets aux causes. Si les faits que nous examinons sont simples et si nous disposons pour les étudier d’une énorme quantité de faits similaires, l’idée que nous nous faisons de leur nécessité sera encore plus complète. La malhonnêteté du fils d’un père malhonnête, la mauvaise conduite d’une femme tombée dans un mauvais milieu, le retour d’un ivrogne à son ivrognerie sont des faits qui nous paraissent d’autant moins libres que nous en possédons mieux les causes. Si l’homme dont nous examinons la conduite se trouve au plus bas degré du développement de l’intelligence, si c’est un enfant, un fou, un imbécile, alors, connaissant les causes de sa conduite et l’état fruste de son caractère, nous voyons en lui une si grande part de nécessité et une si petite part de liberté que, sitôt connu le mobile qui le pousse, nous pouvons prédire l’acte qui en sera la conséquence.
    C’est sur ces trois éléments d’examen que se basent l’irresponsabilité dans le crime et les circonstances atténuantes, admises par toutes les législations. La responsabilité paraît plus ou moins grande selon que l’on connaît plus ou moins les conditions où s’est trouvé le coupable que l’on juge, selon le plus ou moins grand intervalle qui s est écoulé entre l’acte et le jugement, et selon le degré de connaissance
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