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La Guerre et la Paix - Tome III

La Guerre et la Paix - Tome III

Titel: La Guerre et la Paix - Tome III
Autoren: Léon Tolstoï
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liberté, inébranlable, indestructible, non soumise à l’expérience et au raisonnement, que reconnaissent tous les penseurs, que ressentent tous les hommes sans exception, c’est cette conscience indispensable à la compréhension de l’homme qui constitue l’autre aspect du problème.
    L’homme est la création d’un Dieu tout-puissant, infiniment bon, omniscient. Qu’est-ce donc que le péché, dont le concept dérive de la conscience de la liberté de l’homme ? Voilà la question que pose la théologie.
    Les actes des hommes sont subordonnés à des lois générales immuables, enregistrées par la Statistique. En quoi donc consiste la responsabilité de l’homme devant la société, dont le concept découle de la conscience de sa liberté ? Voilà la question que pose le droit.
    Les actes d’un homme découlent de son caractère héréditaire et des mobiles qui le font agir. Qu’est-ce que la conscience, la notion du bien et du mal dans les actes qui naissent de la conscience de sa liberté ? Voilà la question que pose la morale.
    L’homme lié à la vie générale de l’humanité apparaît comme soumis aux lois qui régissent cette vie. Mais l’homme, indépendamment de ce lien, apparaît comme libre. Comment doit-on considérer la vie passée des peuples et de l’humanité ? Est-elle le résultat de l’activité libre ou déterminée des hommes ? Voilà la question que pose l’histoire.
    C’est seulement à notre présomptueuse époque de vulgarisation de la connaissance, grâce à cet instrument tout-puissant d’ignorance qu’est l’imprimerie, que la question du libre arbitre a été ramenée sur un terrain où elle ne peut même plus se poser. À notre époque, la majorité des hommes qu’on appelle d’avant-garde, c’est-à-dire une foule d’ignorants, ont cru trouver dans les travaux des naturalistes, qui n’envisagent qu’un côté du problème, la solution du problème tout entier.
    Il n’y a ni âme ni libre arbitre, disent-ils, impriment-ils, puisque la vie de l’homme se manifeste par le mouvement de ses muscles et que les muscles sont commandés par le système nerveux. Il n’y a ni âme ni libre arbitre, puisque l’homme est sorti du singe à une époque inconnue. Ils ne se doutent pas qu’il y a plusieurs millénaires toutes les religions, tous les penseurs, non seulement avaient reconnu, mais n’avaient même jamais nié cette même loi de la nécessité qu’ils prennent tant de mal à prouver aujourd’hui par la physiologie et la zoologie comparée. Ils ne voient pas que le rôle des sciences naturelles ne consiste ici qu’à éclairer un des aspects du problème. En effet, prétendre que l’observation, la raison, la volonté ne sont que des sécrétions du cerveau, et que l’homme, soumis à la loi commune, a pu à une époque inconnue se dégager de l’animalité inférieure, c’est expliquer seulement d’une manière nouvelle cette vérité reconnue depuis des millénaires par les religions et les philosophes, que, du point de vue de la raison, l’homme relève des lois de la nécessité, mais cela ne fait pas avancer d’un pas la solution du problème, qui a une autre face, opposée, reposant sur la conscience de la liberté.
    Si, à une époque inconnue, l’homme est issu du singe, l’on admettra aussi bien qu’il ait pu sortir d’une poignée de terre à une époque connue ; dans le premier cas, c’est l’époque qui est l’inconnue ; dans le second, c’est l’origine de l’homme. Mais la question n’est pas là. La question est de savoir comment la conscience que l’homme a de sa liberté s’allie aux lois de la nécessité auxquelles il est soumis. Et elle ne saurait être résolue par la physiologie et la zoologie comparée, car dans la grenouille, le lapin et le singe, nous observons seulement une activité musculaire et nerveuse, tandis que dans l’homme nous observons, en plus de cette activité musculo-nerveuse, la conscience.
    Les naturalistes et leurs admirateurs qui prétendent résoudre ce problème sont semblables à des maçons qui auraient reçu l’ordre de crépir un des côtés d’une église et qui profiteraient de l’absence du contremaître des travaux pour enduire par excès de zèle avec leurs produits, et fenêtres, et icônes, et charpentes, et murs non encore consolidés, et qui seraient enchantés de leur travail, parce qu’à leur point de vue de maçons, toutes les parties de l’édifice
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