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La grande déesse

La grande déesse

Titel: La grande déesse
Autoren: Jean Markale
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de l’antique déesse mère : celle-ci, encore reconnaissable sous les traits de Pénélope, est ravalée au rang d’épouse passive et fidèle, reprenant sans cesse son ouvrage et attendant patiemment le retour du mâle, c’est-à-dire son bon plaisir. Cependant, en ces temps où les Grecs se régalaient aux récits de l’ Odyssée , les fameuses prostituées sacrées n’avaient pas encore totalement disparu des temples d’Artémis à Éphèse et d’Aphrodite à Corinthe : elles officiaient toujours, mais elles avaient été réduites à l’état d’esclaves. Cela n’empêchait nullement que l’opinion publique les considérât comme saintes et sacrées. Elles étaient même souvent citées comme vierges saintes , ce qui jette un certain discrédit sur la notion étroite de « virginité » prise au sens purement physique.
    Il en était de même en Inde, où la déesse Çakti, émanation féminine du divin, était censée, lors de cérémonies nocturnes, résider dans le corps nu d’une jeune vierge exposée dans la plus grande impudeur et avec laquelle on pouvait saintement s’accoupler. Il en était de même en Perse, avant la réforme zoroastrienne, dans le culte d’Anaïtis, l’un des noms que portait la Grande Déesse : « Une hétaïre consacrée y tenait le rôle de la déesse. Elle siège sur un trône luxueux : tout le peuple peut la voir sur le tertre artificiel du sanctuaire. Avec une pompe tout orientale, on lui amène son partenaire divin, choisi parmi les esclaves… L’union officielle entre l’hétaïre sacrée et son amant, accomplie en présence de tout le peuple qui pousse des cris d’allégresse, représentait le point culminant de la fête et l’invitation aux unions collectives orgiaques. Pour cinq jours, tous les liens du mariage et de l’amitié sont suspendus : chaque femme peut s’unir à tout homme qu’elle désire et tout homme à chaque femme. Dans l’ivresse des fêtes nocturnes, chaque femme est l’image de la divine Anaïtis. Au terme de la fête, on brûle l’amant, illustration cruelle de l’abaissement de l’homme devant la femme 6 . » Et ce ne sont ici que quelques exemples des rituels en usage dans le monde entier pour honorer la divinité féminine des commencements et répéter par un geste sacré l’acte primitif de la création de toute vie.
    Le sacré et la sexualité ont toujours eu des rapports ambigus : on ne sait en effet pas très bien quelles sont les frontières entre l’orgie sacrée et la dépravation, la première pouvant toujours être la justification de la seconde. Le débat ne risque pas d’être clos de sitôt, et l’on comprend pourquoi les censeurs grecs et romains ont été parfois si sévères à l’encontre des cultes dits « dyonisiaques » : non seulement ils mettaient en cause la société masculine, mais ils troublaient réellement l’ordre public. Et quand on sait que, pendant les premiers siècles du christianisme, de nombreux fidèles qui venaient de participer à la liturgie de la messe allaient ensuite assister aux cérémonies des divers cultes païens, surtout ceux de Cybèle, de Diane et d’Isis, on ne peut guère s’étonner des constantes et tonitruantes condamnations de la sexualité par les Pères de l’Église et leur mise à l’écart de la femme, considérée non seulement comme un objet de tentation, mais comme l’image incarnée de cette tentatrice, la Grande Déesse, plus que jamais présente dans la mémoire des peuples. On a souvent traité les Pères de l’Église d’obsédés sexuels. C’est sans doute vrai dans la mesure où cette lutte contre la féminité tournait à l’idée fixe et faisait de l’acte sexuel le péché par excellence, mais cette attitude trouvait sa pleine justification dans le contexte de l’époque. C’est à ce prix que pouvait survivre la religion chrétienne face au syncrétisme néopaïen du Bas-Empire et aux différentes sectes gnostiques qui fleurissaient ici et là, déviances du message évangélique redonnant à la femme un rôle premier.
    Les choses ne sont pas simples, et le christianisme ne s’est pas imposé sans péripéties ni vicissitudes sur les débris de l’Empire romain – ceci sans jugement de valeur quant au contenu du message évangélique. C’est une simple constatation historique qui oblige à tenir compte d’une réalité de fait : plus on luttait, au nom du Dieu père, contre la notion même de déesse mère, plus
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