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La grande déesse

La grande déesse

Titel: La grande déesse
Autoren: Jean Markale
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l’élément familier de la femme, la Terre mère, il est maudit : “Parce que tu as écouté la voix de la femme [c’est-à-dire parce que tu es retourné vers le culte de la déesse], tu devras désormais la commander [sous-entendu : pour lui éviter de retomber dans l’ hérésie gynécocratique], et maudit sera le sol à cause de toi” (3,17-18). Le sol, c’est-à-dire la terre, la nature, la Terre mère, est maudit, et commence le règne de l’agriculture. C’est bien en effet l’agriculture (et l’élevage) qui est à l’origine historique de la société masculine 4 . » Mais cela n’empêchera nullement, par la suite, à l’intérieur même de la société masculine, une lutte sanglante entre l’état pastoral, représenté par Abel, et l’état agricole, représenté par Caïn, que l’on retrouvera dans l’inconscient collectif avec les productions cinématographiques du western américain où éleveurs et colons agriculteurs s’affrontent.
    La malédiction contre le serpent et par conséquent contre la déesse mère tellurique s’étend aux femmes, soupçonnées – à juste titre – d’être les zélatrices de cette déesse : ce soupçon est à l’origine des mises en garde constantes des Pères de l’Église contre les femmes, de l’interdiction portée sur elles à propos du sacerdoce et de la participation active au culte et, de façon aberrante, de la triste et féroce « chasse aux sorcières » qui a débuté au XIII e  siècle et s’est prolongée jusqu’à la fin du XVII e  siècle, du moins en Europe occidentale.
    Il semble que cet épisode de la Genèse soit une justification a posteriori d’un état de fait social résultant d’une spéculation d’ordre religieux. Il faut en effet toujours appuyer un interdit sur une intervention divine quelle qu’elle soit : revêtue d’une caution divine, ou tout simplement sacrée, une obligation n’en acquiert que plus de force, et personne ne songerait, du moins dans un premier temps, à en contester la conformité avec le plan cosmique ou divin qui régit l’existence des êtres et des choses. Et cela aide considérablement la classe dominante, en l’occurrence la classe sacerdotale, à assurer son pouvoir absolu sur les autres classes qui constituent une société. Le temporel n’est jamais séparable du spirituel, surtout en ces périodes de l’histoire où nul n’aurait osé faire une distinction entre le profane et le sacré. Mais ce qui s’avère révélateur, toujours dans le récit biblique, c’est la réaction d’Adam après la malédiction prononcé par Yahveh contre le serpent, la femme et le sol : « Le glébeux crie le nom de sa femme, Hava-Vivante. Oui, elle est la mère de tout vivant » (3,20, trad. Chouraqui). On ne peut mieux exprimer en effet la primauté de la femme en dépit de tout ce qui vient d’être dit. C’est aussi, d’une façon détournée, une sorte d’hommage rendu, à travers Ève, dont le nom signifie exactement « vivante », ou plutôt natura naturans (nature qui nature), à la déesse mère d’autrefois sans laquelle aucune vie ne serait possible. Il est vrai qu’on a éliminé, probablement à l’époque mosaïque, le personnage très encombrant de Lilith, mère d’Adam, ou sa première femme, qui n’est connu que par quelques allusions bibliques, toujours dépréciatives, et par une tradition rabbinique constante encore que très obscure 5 . Visiblement, le texte de la Genèse est tronqué, et l’on ne pourra jamais savoir ce qu’il en était du rôle exact de la femme, et par conséquent du rôle prêté à la déesse mère, avant le soi-disant péché originel si astucieusement récupéré pour mieux dominer les peuples par l’introduction d’un sentiment de culpabilité incoeœrcible.
    Tout ce qu’il est possible d’affirmer, c’est l’importance de la composante sexuelle dans le culte de cette déesse mère. Le fait de considérer la déesse comme source de toute vie, donc de mettre l’accent sur son activité sexuelle, justifie pleinement cette importance : les organes de la procréation ne pouvaient être que sacrés, comme en témoignent les statuettes préhistoriques les plus diverses, et il était licite non seulement de les représenter, mais aussi de leur rendre un culte. À partir du moment où l’individu mâle s’est érigé en procréateur indispensable, prenant conscience de l’existence d’un lignage paternel, il importait de
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