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La colère du lac

La colère du lac

Titel: La colère du lac
Autoren: Anne Tremblay
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détacher des biens matériels de la terre,
     sermonna-t-il tout en lançant un regard sévère au vieux monsieur Mailloux.
    — Oui, ben sûr, dit Patrick repentant, mais déçu par la perte de sa seule
     possession. Moé vous remercie beaucoup, monsieur le curé, vous aussi, monsieur
     Caillou, euh… Mailloux.
    — Ouais, ouais, on sait même pas comment il s’appelle, grommela le vieillard en
     se détournant face à la fenêtre.
    Cet étranger ne lui plaisait pas. Pas foutu de parler leur languecomme il faut. Qu’il s’en retourne donc chez lui !
    — Ah, revoici Joséphine et votre bouillon, monsieur…? interrogea le curé tout
     en s’écartant pour laisser passer la jeune femme qui alla déposer le bol fumant
     sur la table de chevet.
    — O’Connor, Patrick O’Connor, se présenta celui-ci.
    — Bon, astheure que tout le monde a fait connaissance, je vais retourner à mes
     visites paroissiales. Prenez garde à vous, mon brave. Je vous laisse aux bons
     soins de mademoiselle Mailloux, dit-il en regardant Joséphine redresser son
     patient à l’aide d’oreillers dans le dos.
    — J’vous suis, m’sieur le curé, annonça le père de Joséphine, tout en toussant
     à s’en décrocher le cœur. J’va aller m’étendre un peu. Oublie pas, ma fille, de
     venir me porter mes gouttes t’à l’heure.
    Et les deux hommes quittèrent la pièce, l’un extrêmement satisfait, sachant
     déjà sur quoi porterait son prochain sermon. Prêcher l’exemple de charité et
     d’entraide que les Mailloux offraient tout en donnant généreusement à l’Église.
     Oui… il les donnerait en modèles, parlerait de ce pauvre marin venu de si loin
     et qui avait trouvé asile dans leur belle ville de Chicoutimi, oui, oui… Quant à
     l’autre, il bougonnait intérieurement, se demandant ce que ce jeune homme avait
     pu faire de mal dans son pays du bout du monde pour se sauver jusqu’ici. Et
     peut-être faisait-il seulement semblant d’être malade, pour profiter de la
     situation, pour être nourri gratuitement, le fainéant, le bon à rien… Ah, curé
     de malheur, qui décidait toujours tout pour tout le monde !

    Joséphine approcha la chaise près du lit. Assise à côté de son malade, elle se
     mit à souffler doucement sur une cuillère à soupe remplie d’un bouillon trop
     chaud. Elle n’osait regarder directement dans les yeux cet homme si proche
     d’elle et se concentrait sur le léger frisson qu’elleprovoquait
     sur le liquide pour oublier celui qu’elle ressentait en raison de la présence de
     l’étranger. Il y avait quelque chose d’intime dans cette situation, lui étendu,
     à moitié nu, dans son propre lit de jeune fille et elle, s’apprêtant à le
     nourrir comme un bébé. Oui, quelque chose d’intime qui la mettait terriblement
     mal à l’aise, mais qui lui faisait un drôle d’effet aussi, une sorte
     d’excitation, de tension, un frémissement… troublant… Elle avait eu peine à
     dormir la veille, tandis que son protégé restait inconscient. Elle s’était
     installée dans l’ancienne chambre de ses sœurs, inoccupée depuis leur mariage,
     et qui jouxtait la sienne. Est-ce que son insomnie était due à l’inconfort de
     dormir par terre sur un vieux matelas que ses sœurs avaient négligé d’emporter
     avec leurs trousseaux, ou par la lourde responsabilité de devoir soigner cet
     inconnu ? Il sentait encore l’odeur de la mort qui l’avait caressé de près, au
     dire du docteur qui était venu la conseiller et l’informer des soins à donner.
     Vingt fois au moins elle s’était levée silencieusement pour aller surveiller son
     malade. Elle restait de longues minutes, immobile, épiant le moindre changement
     de respiration, le plus petit mouvement. Elle en profitait pour détailler le
     visage, remarquant l’infime détail, la minuscule cicatrice sur l’arcade
     sourcilière gauche, le nez un peu retroussé, les lèvres et les joues
     disparaissant sous une forte barbe de la même couleur automnale que les cheveux
     trop longs sur la nuque et que la sueur avait collés aux tempes. Joséphine se
     rendit compte qu’elle avait été perdue dans ses pensées et que sa cuillerée de
     soupe était certainement amplement refroidie. En souriant, elle approcha
     l’ustensile de la bouche du patient.
    Patrick O’Connor était bien embarrassé. Comment expliquer à cette grosse fille
     timide qu’il avait un besoin beaucoup plus urgent
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