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La colère du lac

La colère du lac

Titel: La colère du lac
Autoren: Anne Tremblay
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que celui d’avaler cette soupe
     qu’elle lui tendait. S’il ne se sentait pas si faible aussi. Il se serait levé
     pour aller faire son besoin naturel. Mais on aurait juré qu’une vague immense
     l’avait roulé pendant des heures,s’amusant à le broyer, à
     l’essorer pour le rejeter comme une vieille guenille. Il n’en pouvait plus, il
     allait uriner dans ce lit.
    — Mademoiselle… dit-il les dents serrées.
    Joséphine ne comprenait pas, elle restait là, la cuillère en suspens. Il
     semblait souffrir… devait-elle envoyer chercher le docteur ?
    — Mademoiselle ! gémit de nouveau le marin.
    Il avait le bas-ventre en feu, une pression inimaginable qui lui donnait peine
     à respirer. Avec ses yeux, il l’implora de comprendre l’urgence de la situation.
     Mais elle restait là, la bouche ouverte d’incompréhension. Tout à coup, son
     visage s’éclaira. Elle déposa abruptement la cuillère dans le bol, prit le verre
     d’eau et le tendit à son malade. Pauvre homme, comme elle était bête, il devait
     mourir de soif.
    — Non, non pas eau ! s’impatienta Patrick.
    Aux grands maux les grands moyens. D’un geste brusque, il repoussa les
     couvertures, apparaissant en caleçon long à la jeune fille ahurie. À travers le
     tissu, sans aucune pudeur, il pressa son membre tout en le pointant
     énergiquement de l’index de sa main libre. Si elle ne comprenait pas maintenant,
     c’est qu’en plus d’être laide, elle était idiote ! Si Patrick n’avait pas eu
     besoin de toute son énergie pour retenir ce qu’il ne pouvait plus contenir, il
     aurait éclaté de rire en voyant la fille devant lui se transformer en une grosse
     tomate rouge. Confuse, honteuse, traversant en courant la pièce, Joséphine prit
     sur la commode son pot de chambre fleuri, hésita quelques secondes avant de le
     tendre au convalescent et de s’enfuir dans le corridor. Mortifiée, elle s’appuya
     sur le chambranle de la porte. Quelle idiote elle faisait ! De ses deux mains,
     elle se boucha les oreilles pour ne plus entendre le puissant jet d’urine qui
     résonnait bruyamment dans le pot. Comment trouverait-elle le courage de
     retourner dans la chambre ? Elle aurait voulu disparaître sous terre, ne plus
     jamais revoir cet homme. Mais, elle n’avait pas le choix. Elle devait vider le
     pot, luidonner son bouillon, le raser, le laver ? Oh non ! Elle
     n’avait pas une minute songé à tout ce que son nouveau rôle comportait !
     Pourquoi le curé avait-il pensé à elle pour cette besogne ? Elle manquait de
     sommeil, elle se sentait toute bouleversée, elle avait envie de pleurer et lui
     qui n’en finissait pas de pisser !
    « Ah ! Ça fait du bien ! » se dit Patrick en fermant les yeux de contentement,
     après s’être enfin soulagé.
    À part une grande faiblesse, il se sentait beaucoup mieux. Les murs ne
     tournaient plus autour de lui, il avait cessé de trembler comme un vieillard.
     Tout à coup, il revit la réaction de cette grosse bêtasse, son visage cramoisi,
     et cette fois, il laissa libre cours à son hilarité.
    Il riait d’elle, à n’en pas douter, il se moquait d’elle ! La tête baissée, se
     jouant nerveusement avec les ongles, telle une victime se rendant à l’échafaud,
     Joséphine revint piteusement dans la chambre. Face à la détresse évidente de la
     jeune fille, le rire de l’homme s’éteignit. Joséphine leva les yeux vers ce
     silence inattendu. Il la regardait d’un air désolé, tenant le pot de chambre, en
     précaire équilibre, sur son ventre. Le ridicule de la situation et la puérilité
     de son attitude précédente lui apparurent soudain comme la chose la plus cocasse
     qu’elle ait vécue. À son tour, elle éclata de rire. Un rire franc, merveilleux,
     profond, généreux. Jamais Patrick O’Connor n’avait rien entendu de plus suave.
     Il n’eut même pas cru possible qu’un si beau son puisse exister. Cela rappelait
     la plus pure des clochettes, une sorte de roucoulement d’un oiseau d’or… une
     merveille.
    — Attendez, j’va vous débarrasser, bredouilla Joséphine, suffoquant de rire en
     désignant le récipient, cause de ce débordement.
    Patrick lui tendit le pot. Soudain elle remarqua qu’il ne cessait de la
     dévisager. Un court instant, quelques secondes à peine, leurs yeux
     s’accrochèrent. Le temps devint irréel. Les sons s’estompèrent. La lumière se
     tamisa, un peu comme ce moment
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