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La chapelle du Diable

La chapelle du Diable

Titel: La chapelle du Diable
Autoren: Anne Tremblay
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rendait plus heureuse que de s’installer avec moé
     icitte sur le bord du lac. A dit que c’est un cadeau du Bon Dieu pis qu’a le
     mérite pas… A m’a dit aussi qu’a l’avait ben peur d’avoir gâté la p’tite
     Julianna. J’ai ben l’impression que ton mariage sera pas de tout repos, mon
     gars.
    François-Xavier s’était arrêté de marcher et s’était retourné vers l’immensité
     bleue. Les paroles de son père résumaient ce qu’il ressentait depuis sa vie
     d’homme marié. Il avait l’impression d’être embarqué dans un train qui allait
     beaucoup trop rapidement et qui menaçait de dérailler à chaque courbe. Jamais il
     ne serait à la hauteur de Julianna, jamais il ne parviendrait à la combler.
     C’est son prétendant de Montréal qu’elle aurait dû épouser. Cet Henry Vissers
     était certainement digne d’elle, ils étaient du même milieu, tandis que lui… Il
     s’était penché et avait pris une poignée de sable encore refroidi par la nuit et
     l’avait laissé s’échapper d’entre ses doigts. Il avait gardé le silence le temps
     que s’écoule ce sablier improvisé. Il avait repris une autre
     poignée mais cette fois, il avait pressé fortement sa main, tentant de retenir
     son butin. Il avait dit d’un air presque triste :
    — Vous êtes vous déjà demandé, son père, combien de grains de sable y pouvait y
     avoir rien que dans cette poignée-là que j’ai entre mes mains ?
    Ernest n’avait pas répondu. Son fils avait continué sa pensée.
    — T’arrives jamais à les compter, y en a toujours qui s’échappent d’entre tes
     doigts.
    D’un air désabusé, le jeune homme avait lâché sa prise et laissé tomber ce qui
     restait. Il avait enfoui ses mains dans ses poches et, avec un soupir, avait
     porté son regard vers l’horizon.
    — Avec Julianna, j’pense que j’vas recommencer le compte à chaque matin. On est
     si différents…
    Ernest, qui avait écouté son fils sans mot dire, s’était approché de lui et
     s’était mis également à observer le lac.
    — Moé, j’trouve plutôt que vous vous ressemblez tous les deux… Sauf que toé, tu
     gardes en dedans ce que ta Julianna, a garde en dehors…

    Il avait mis des années à comprendre le sens de cette phrase. François-Xavier
     se força à revenir au temps présent. Le soleil se couchait si tôt et il voulait
     traverser à Péribonka avant la noirceur.
    La porte d’entrée ne fermait même plus et il n’eut qu’à pousser solidement
     dessus pour qu’elle s’ouvre avec un grincement sinistre. Le spectacle était
     désolant. Des débris de plâtre recouvraient le plancher et avaient laissé des
     trous béants un peu partout dans les murs. Les planchers de bois avaient gondolé
     sous l’effet de l’humidité et la rampe d’escalier qui menait à l’étage était
     presque arrachée. En évitant les lattes les plus abîmées qui risquaient de le
     faire atterrir dans la cave de terre, François-Xavier se dirigea vers le grand
     salon. Les doubles portes coulissantes gisaient sur le sol, leurs carreaux à
     moitiécassés. Triste, il s’avança dans la pièce vide. Des notes
     de musique s’égrenèrent et là, dans le coin du salon, l’image du piano de
     Julianna apparut. François-Xavier eut envie de rebrousser chemin. Mais au lieu
     de tourner le dos à ses souvenirs, il respira un grand coup et se dit :
     « Envoie, mon gars, il est temps d’affronter les fantômes du passé. » Le piano
     apparut alors dans toute sa splendeur, Julianna assise au clavier.

P REMIÈRE PARTIE
    I
l y avait déjà de
     longues minutes que François-Xavier épiait sa toute nouvelle épouse en train de
     jouer au piano. Julianna, son amour, sa princesse, son rêve… Julianna, assise au
     clavier, ses jolies mains enfonçant avec rage les touches. C’était le lendemain
     de leur nuit de noces. Elle était encore en robe de nuit, un châle crocheté sur
     les épaules, pieds nus sur les pédales de l’instrument. Ses cheveux mi-longs
     n’étaient pas brossés et lui donnaient un petit air sauvage qu’il adora. Elle ne
     chantait pas, elle se contentait de marteler des notes, la bouche crispée, les
     yeux au loin. Le nouveau marié quitta sans bruit son poste d’observation et
     s’approcha de sa belle. Il alla se placer derrière elle. Il huma l’odeur de sa
     jeune épouse. Il baissa la tête et déposa ses lèvres au creux du cou de
     Julianna. Elle ne cessa
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