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La Cabale des Muses

La Cabale des Muses

Titel: La Cabale des Muses
Autoren: Gerard Hubert-Richou
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reprit sa moue de jadis, autant pour « belle » que pour « enfant ». Son regard malicieux opéra un tour de table, puis elle se lança :
    — En effet, j’ai vécu en une année des moments incroyables et des jours inoubliables que la petite gueuse qui sommeille à l’affût au fond de moi n’aurait jamais pu imaginer. Mais une foule de questions me submerge. Est-ce un bien de lui avoir dévoilé la connaissance, la reconnaissance, et de l’avoir élevée avec un respect et une générosité incomparables, sans réclamer de compensation d’aucune sorte ? Ma vie ne suffira pas à remercier celui qui m’a accordé tous ces bienfaits d’autant que, comme vous le constatez, je suis qu’une fille. Mon alter ego (c’est comme ça qu’on dit ?) qui se nommait Gautier et que j’remercie aussi pour son dévouement, s’en est allé définitiv’ment vers d’autres horizons. Demain, que serai-je ? Je m’en remets à Dieu, ne pouvant exiger davantage de celui qui a eu tant d’bontés pour moi et que… et que..
    Les larmes emplirent soudain les yeux de Lisa, débordèrent, ruisselèrent sur ses joues rosies, coulèrent dans son petit décolleté qui s’était gentiment arrondi. Elle serra les poings car elle voulait refouler cette émotion, nouvelle aussi pour elle, afin d’achever cette phrase qu’elle n’aurait jamais pensé prononcer ; la phrase la plus difficile du monde :
    — Et que… je bénis de tout mon cœur, de toute mon âme parce que je l’aime mieux qu’un père, ayant jamais connu la tendresse de parents comme… comme ces sales gosses de riches qui m’ont mené la vie dure à l’école des Muses !
    Cette habile pirouette désamorça la bombe affective que Lisa avait allumée. Seignelay en profita pour reconnaître les qualités de Géraud tandis qu’elle tombait dans les bras de son mentor. Il la pressa doublement contre sa poitrine, à la mémoire de celle dont il n’oubliait pas le sacrifice.
    — Je ne pensais pas, continua le marquis, que le repas s’élèverait à un tel degré sous les foudres de l’amour, de l’adoration filiale et de l’amitié. Mais ce n’en est que mieux. Il restera donc mémorable pour nous tous. M’échoit le privilège de marquer l’instant d’un sceau indélébile… Ainsi, je m’engage devant cette confraternelle assemblée à poursuivre l’œuvre d’instruction de mademoiselle Lisa dans le meilleur établissement de jeunes filles qui soit afin que le cercle des beaux esprits féminins continue son ascension dans le sillage lumineux de mesdames Françoise Athénaïs de Montespan, Ninon de Lenclos, Bonne d’Heudicourt et quelques autres dames de Lafayette et Scudéry.
    Il fut salué par des applaudissements.
    — Et si quelqu’un est encore capable d’ajouter quelques mots, je le laisse volontiers s’exprimer et le conjure même de se dévouer car voici les friandises annoncées.
    C’est Brissac qui se sacrifia. Il souhaita la réussite des projets de chacun dans la vie la plus harmonieuse qui soit, ne doutant pas que des moments d’une telle intensité leur soient profitables à tous. Puis il se tourna vers Pistol qui, contrairement à son habitude, n’avait pas lâché un mot de tout le repas.
    Le gribouilleur talentueux de monsieur Vauban leur adressa un large sourire circulaire. On l’avait un peu oublié, accaparé qu’on était par les émotives scènes précédentes, d’autant qu’avec discrétion, il avait repoussé son siège d’un demi-pied. Il tenait contre sa poitrine un rectangle cartonné.
    — Tout peut donc arriver, mes amis, même un Pistol silencieux, béat devant un tendre tableau. Alors, un dessin – pourvu qu’on ait un peu d’habileté – valant un long discours, sinon davantage, j’ai laissé batifoler et s’exprimer la mine que je garde toujours en poche. Je comptais immortaliser cette scène amicale et conviviale, et dans ce but avait subtilisé ce support qui servit de socle à ces alléchantes pâtisseries. Ainsi, je me suis contenté de capter les deux plus ravissants et les plus lumineux minois de cette tablée. Vous ne m’en tiendrez pas rigueur, je pense, messieurs.
    Il retourna son carton et dévoila son œuvre. En quelques traits souples et vigoureux, des ombres estompées avec douceur, le sorcier avait donné vie à deux profils admirables de vérité dont les regards pétillaient de bonheur : Lisa et Virginie.

Épilogue
    L E PROCÈS FUT INSTRUIT AVEC UNE RIGUEUR implacable
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