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Khadija

Khadija

Titel: Khadija
Autoren: Marek Halter
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Sofyan. Même dans ce reproche qu'elle venait de lui faire, les mots coulaient de ses lèvres avec une douceur à peine teintée d'ironie. En outre, la présence de la jeune et belle esclave étrangère attisait sa curiosité. Il avait beaucoup de mal à ne pas la dévisager, à ne pas tenter de deviner le jeune corps masqué par les vêtements larges et humbles qui le recouvraient.
    Il inclina la nuque et agita les mains en signe de protestation.
    — Non, non, cousine Khadija ! Pas de seigneur Al Çakhr, pour toi ! Nous sommes tous filles et fils de Qoraych, notre premier ancêtre...
    Khadija approuva d'un battement des paupières avant de claquer des mains. Aussitôt, les servantes réapparurent, chargées de plats de fromages et de viandes grillées, de dattes et d'olives, de purée de figues et de galettes fumantes. La salle s'emplit d'odeurs. À l'exception des trois plus âgées, les servantes se retirèrent à petits pas dans un froissement de tissu.
    Khadija prit place sur l'une des chaises. Ashemou s'accroupit derrière elle sur un coussin. Khadija désigna le siège en face d'elle.
    — Que ma maison soit la tienne, cousin Abu Sofyan. Tu as voulu me voir. Une veuve ne pouvait te visiter. Bois et mange, et parle. Je t'écoute.
    Comme subjugué par le ton débonnaire de Khadija, Abu Sofyan fut sur le point d'obéir. Puis il se rappela son présent, toujours précieusement enveloppé à ses pieds.
    — Ah ! s'exclama-t-il. Cousine Khadija, je ne pouvais te visiter les mains vides. Ceci est pour toi.
    Avec un peu de précipitation, il dénoua la cordelette de cuir, rejeta les pans du tapis et dévoila le mystérieux objet.
    Ashemou et les servantes ne purent retenir un cri. Peut-être même entendit-on, sans y prêter attention, l'exclamation de surprise de Barrira derrière le moucharabieh. Les lèvres de Khadija s'entrouvrirent, mais elle sut retenir son souffle.
    Abu Sofyan saisit une lampe. Il approcha la flamme pour que l'on pût mieux voir.
    D'une épaisse plaque d'albâtre se détachait le corps nu d'une femme. Un corps parfait, sculpté et poli dans la masse. La femme tenait les mains réunies sous sa poitrine, les doigts serrés sur une coupe. Il semblait que ses seins, pleins et jeunes, les pointes hautes et fermement sculptées, reposaient sur ses avant-bras. Fixé dans la plaque d'albâtre, un collier de perles colorées, verre et pierres, glissait dans leur sillon.
    Le visage, très ovale, serein, était parfaitement dessiné. La bouche était courte et les lèvres larges sous un nez long dont les narines s'évasaient ainsi que des coques de cardamome. De larges tresses taillées dans l'épaisseur de la pierre dessinaient la chevelure.
    Les yeux étaient le plus extraordinaire. De fines rainures creusées dans la pierre opalescente en esquissaient les formes : deux amandes avec, incrustés en leur cœur, deux disques de lapis en guise d'iris. Une pâte de verre dorée remplissait l'arc sous les cils, tandis qu'un enduit noir, épais, mêlé de poussière d'argent scintillante, évoquant les ailes déployées d'une colombe, comblait la courbe des sourcils. Un regard troublant, presque vrai. Cependant distant et plein de savoir, comme celui des esprits qui arpentaient les mondes inaccessibles aux humains.
    Abu Sofyan fit passer sa lampe derrière la statue. De nouveau les servantes crièrent de stupeur. La flamme dansante de la mèche huilée semblait se fondre dans l'âme laiteuse de l'albâtre. Au cœur du corps sculpté, une lumière sourde, chaude, proche de celle d'un brasier, presque liquide, attisait une vie mystérieuse.
    Comme les servantes, comme Ashemou, Khadija vit soudain frémir le visage. Les courtes lèvres parurent s'entrouvrir. Qui sait si elles ne prononcèrent pas quelques mots. Un murmure. Tandis que l'étrange regard de lapis, au bleu devenu presque noir, puis d'un ocre de crépuscule, se déplaçait. Se fixait ici et là. Puis ce furent les mains, les doigts qui jouèrent sur le bord de la coupe. Et les seins si parfaits tremblèrent comme sous l'effet d'une caresse.
    Abu Sofyan retira brusquement la lampe. L'air écrasa la flamme, manquant de la souffler. La vie disparut du corps de la statue. L'albâtre ne fut plus que pierre, massive et dure. Et le regard de lapis, si troublant un instant plus tôt, était désormais aussi distant que celui des morts avant leur voyage dans l'autre monde.
    Abu Sofyan, tout sourire, fit claquer sa langue, hochant la tête comme s'il
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