Je Suis à L'Est !

parce qu’il veut être seul, ou parce qu’il est dans sa bulle. Une telle croyance est confortable, puisque, à nouveau, elle impute la responsabilité de tout ce qui se passe à la personne handicapée. Mais cela ne reflète pas la réalité.
    Une autre remarque est nécessaire, autour de la notion d’excellence. Comme je l’ai dit précédemment, je n’ai pas été scolarisé dans le Bronx. Plutôt dans ce que l’on appellerait de bons établissements. Cela étant, il ne faut pas croire que tout se passe très bien pour les enfants avec autisme dans un « bon » établissement. Pire, les très bons sont en général plus « excluants » pour les enfants handicapés que ceux qui sont réputés mauvais. Un paradoxe ou un scandale qui a ses raisons.
    Le fait d’être handicapé est précisément de ne pas cadrer avec le moule ; avec aucun moule. L’excellence, à mon sens, a un côté complètement arbitraire. Et je ne le dis pas par frustration, étant passé par toutes sortes d’établissements dits d’excellence. Nous y reviendrons plus tard.

    Mes profs, ou le grand décalage
    D’ordinaire, dans mes présentations publiques sur la vie à l’école, évoquer les travers des enfants est relativement bien accepté. Aborder ceux des adultes de l’établissement scolaire est autrement plus complexe. Pourtant, des solutions peuvent être créées pourvu qu’on les recherche.
    Mes parents ont toujours su négocier, imposer ma présence à l’école malgré les difficultés. Pour les enseignants, j’étais un enfant à problèmes. En pire. Le profil classique de l’enfant à problèmes est connu : il a de mauvaises notes, se comporte mal en classe, est désobéissant. Je pouvais quant à moi avoir de bonnes notes. Les enseignants savaient que je lisais des bouquins qui ne correspondaient pas à mon « niveau » de l’époque, que je n’étais pas désobéissant, mais malgré tout je posais problème. Quelques années plus tard, j’allais devenir un cancre avec de bonnes notes, sorte d’oiseau étrange dans le paysage scolaire.
    En somme, j’ai souvent eu deux types de relations avec les enseignants. Certains m’aimaient bien, voire m’aimaient beaucoup, et d’autres se méfiaient, avaient peur de moi. En y réfléchissant je me dis que, après tout, ceux qui appréhendaient ma présence avaient leurs raisons ; je devais beaucoup perturber le cours. Imaginez un enfant qui a tout le temps la main levée pour répondre ou qui vous corrige de manière parfois très brutale quand vous faites une faute d’orthographe en écrivant au tableau : cela peut être fort pénible.
    Une histoire le dira peut-être mieux. Lorsque j’étais en CE2, nous étudiions les segments ; nous recevions des feuilles ronéotypées avec des segments, et nous devions les mesurer puis inscrire à côté leur longueur en centimètres et millimètres. Pour l’un des segments, ma prof et moi parvenions à un résultat divergent. Je réfléchissais, cela me perturbait : pourquoi ne pouvions-nous pas avoir le même résultat ? Je finis par avoir une explication scientifique et voulus partager ma joie avec ma prof, pensant qu’elle aussi apprécierait. Je lui expliquai donc que le décalage dans nos mesures s’expliquait par le fait qu’elle était trop vieille, que ses mains tremblaient, et que donc elle ne pouvait mesurer la bonne longueur du segment. Elle le prit mal. Je n’avais pas du tout anticipé ce type de réaction négative. Souvent, on pense qu’un enfant autiste qui corrige ses enseignants le fait pour les blesser : ce n’est pas exact.
    Il n’y a pas que cela. Si participer à la vie de la classe est généralement tenu pour une bonne chose, l’enfant avec autisme peut poser problème précisément en croyant bien faire. Par exemple, supposons que l’enfant en question, moi en l’occurrence, s’intéresse, au hasard, à l’Égypte des pharaons : quand vient, dans le programme scolaire, le moment de parler de l’Égypte, votre classe tournera à l’enfer parce que l’enfant aura tout le temps