Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte

Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte

Titel: Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte
Autoren: Erckmann-Chatrian
Vom Netzwerk:
reste plus même l’ombre en ce monde ; une chose
dont on trouve à peine quelques exemples chez les peuples des temps
barbares où le droit, la justice, les tribunaux, les juges,
n’existaient pas même encore en rêve.
    Depuis le 18 brumaire et la proclamation de la
constitution de l’an VIII, qui donnait au premier consul toutes les
forces et tous les droits de la nation, Chauvel, voyant la
république perdue, restait tranquille. Nous vivions entre nous sans
parler de politique ; notre petit commerce allait très bien et
nous occupait tous, en nous détournant des tristes pensées. Maître
Jean s’était déclaré pour la nouvelle constitution ; il disait
que du moment qu’on garantissait au peuple les biens nationaux,
nous n’avions plus rien à réclamer ; qu’il fallait d’abord
rétablir l’ordre après cette terrible révolution ; que les
Droits de l’homme viendraient ensuite. Il se faisait vieux !
Et comme Chauvel s’était permis un soir dans notre bibliothèque de
lui lancer quelques traits mordants sur les satisfaits, il ne
venait plus nous voir.
    – Je n’en veux pas à ton beau-père, me
disait-il quelquefois, en me rencontrant dehors, sur le chemin des
Baraques ou dans les champs, mais c’est un homme avec lequel on ne
peut plus causer ; il devient aigre et ne se gêne pas pour
vous faire de la peine.
    Je pensais :
    – Non ; il vous a dit vos vérités,
cela ne plaît pas aux gens qui n’ont rien à lui répondre.
    Mon père venait toujours les dimanches dîner
avec nous ; mais le pauvre nomme, lui, trouvait tout bien du
moment que ses enfants étaient heureux. Chauvel l’aimait et
l’estimait beaucoup, sans lui parler jamais de politique. Étienne
était employé depuis quelques mois dans la maison de Simonis, à
Strasbourg. Nous vivions donc seuls, occupés de notre
commerce ; nos anciens amis du club de l’Égalité ne venaient
même plus causer à la nuit derrière notre petit poêle ; chacun
se tenait dans son coin ; les plus hardis, comme Élof Collin,
se montraient encore plus prudents que les autres.
    Et, dans le temps même où nous recevions la
lettre de Sôme, était arrivée la nouvelle de cette fameuse machine
infernale, qui manqua de faire sauter Bonaparte le 24 décembre
1800, à huit heures du soir, dans la rue Saint-Nicaise. Le premier
consul allait des Tuileries à l’Opéra ; une charrette chargée
d’un tonneau s’était rencontrée sur son passage, et le cocher
venait à peine de l’éviter au tournant de la rue, que le tonneau,
plein de poudre, éclatait, tuant et blessant cinquante-deux
personnes.
    Tous les treize journaux criaient ensemble que
les jacobins avaient fait le coup, et l’on pense bien que c’était
une raison de plus pour se tenir tranquille.
    Un soir, le 17 janvier, oui, c’est bien ce
jour-là… comme tout vous revient quand on a souffert : ces
choses se sont passées depuis soixante-huit ans et je les ai encore
sous les yeux !… C’était au temps des grandes neiges. Après le
travail de la journée, nous étions occupés de nos petits ouvrages
dans la bibliothèque. Marguerite avait porté les deux enfants
Annette et Michel dans leur lit, et le petit Jean-Pierre dormait
sur sa chaise, car il voulait entendre causer et finissait toujours
par dormir, sa grosse joue rouge sur la table. Il faisait grand
vent dehors ; c’est à peine si de temps en temps le bruit de
la sonnette nous éveillait de nos rêveries, en forçant l’un ou
l’autre d’aller servir deux sous d’huile, une chopine d’eau-de-vie,
une chandelle de six liards. Le père Chauvel collait le papier,
Marguerite et moi nous faisions les cornets, et les minutes se
suivaient lentement. Sur le coup de dix heures, Marguerite,
craignant de voir l’enfant tomber de sa chaise, le prit et
l’emporta, la tête sur son épaule ; il dormait comme un
bienheureux.
    À peine était-elle montée, que la porte de la
boutique s’ouvrit au large, et que plusieurs individus se
précipitèrent de notre côté. Nous les voyions par les petites
vitres, c’étaient des étrangers, de grands gaillards en
demi-manteau et chapeau à cornes, selon le temps : de
mauvaises figures. Nous étions tout saisis, l’un d’entre eux, le
chef (il avait des moustaches et portait l’épée) entra, et,
montrant Chauvel, il dit aux autres :
    – Voilà notre homme… je le reconnais…
Qu’on l’arrête !
    Chauvel, tout pâle, mais ferme, lui
dit :
    – Qu’on
Vom Netzwerk:

Weitere Kostenlose Bücher