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Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte

Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte

Titel: Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte
Autoren: Erckmann-Chatrian
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m’arrête ! Pourquoi ?
Vous avez votre mandat d’amener ? Vous connaissez l’article 76
de la constitution, l’article 81…
    – Hé ! cria l’autre en levant les
épaules, assez d’avocasseries, le temps des avocasseries est
passé ! Qu’on l’empoigne et en route !
    Et comme je me réveillais de ma surprise,
comme j’allais sauter sur mon sabre, pendu au mur, il le vit et me
dit :
    – Toi, mon garçon, tâche de rester
tranquille, ou bien il t’arrivera malheur. Canez, enlevez ce
sabre ! Les clefs, voyons les clefs ! procédons
vivement !
    Deux de ces brigands m’empoignèrent ;
pendant que je les soulevais, un troisième me prit par derrière à
la gorge, et j’entendis dehors Chauvel, qu’on entraînait, me
crier :
    – Michel, ne te défends pas, ils te
tueraient !
    Ce sont les dernières paroles de ce brave
homme que j’ai entendues. On me tordait les bras, on me donnait des
coups de genoux dans les reins, on me fouillait, et l’on finit par
m’écraser dans le vieux fauteuil.
    – C’est bien, je tiens les clefs, dit
l’officier de police, qu’on le laisse. – Mais, si tu bouges,
gare !…
    Alors j’étais comme brisé, je n’entendais plus
rien ; je voyais qu’ils ouvraient les tiroirs du bureau, de
l’armoire ; qu’ils répandaient les papiers, qu’ils les
choisissaient. Le chef, sur notre propre table, écrivait ;
deux autres ouvraient les lettres, les lisaient et les lui
passaient. Les portes de la bibliothèque et de la boutique étaient
restées ouvertes, la chaleur s’en allait, il faisait froid. Ces
gens travaillaient toujours. Dehors, dans la boutique, on allait,
on venait, on bouleversait tout. Je vomissais le sang, mes
crachements m’avaient repris : la rage, la douleur, le
chagrin, le désespoir m’étouffaient. Je ne pensais à rien, j’étais
abruti. L’officier parlait et donnait ses ordres comme chez
lui :
    – Voyez cette caisse… Ouvrez ce tiroir…
Fermez cette porte… Il ne reste plus de feu au poêle… Non… Tant
pis !… Allons, continuons… Oui, je crois que c’est tout.
    Les misérables avaient pris une bouteille
d’eau-de-vie et des verres dans l’armoire ; ils buvaient en
travaillant ; ils prenaient du tabac dans la tabatière de
Chauvel, restée sur la table… Que voulez-vous ?
Schinderhannnes ! la bande de Schinderhannnes, sans foi ni
loi, sans cœur ni honneur.
    Tout à coup ils partirent, me laissant là. Il
pouvait être une heure du matin. J’essayai de me lever, mes genoux
tremblaient ; je me levai pourtant, et, comme j’arrivais à la
porte de la bibliothèque, je vis le plancher de la boutique tout
blanc de neige, l’autre porte ouverte sur la rue. En trébuchant, je
sentis quelque chose contre mes pieds ; je me baissai… C’était
Marguerite ! Je la crus morte, et toutes mes forces me
revinrent.
    Je la levai en poussant un gémissement
terrible, et je la portai dans notre lit. Elle avait entendu le cri
de son père. Elle m’a toujours dit depuis :
    – Je l’ai entendu crier :
« Adieu !… adieu, mes enfants ! » et puis la
voiture rouler ; alors je suis tombée.
    Voilà ce qu’elle m’a dit plus tard, car
longtemps ma femme est restée comme folle, entre la vie et la mort.
Le docteur, que je courus chercher la même nuit, en la voyant
hochait la tête et disait :
    – Ah ! quel malheur, mon pauvre
Bastien, quel malheur ! Ce sont des scélérats !
    Il était pourtant maire de la ville, mais la
force de la conscience l’emportait ! Oui, c’étaient de vrais
scélérats !
    Enfin c’est tout ce que j’avais à vous
dire ; depuis, je n’ai jamais entendu parler de Chauvel :
c’était fini pour toujours.
    Les enfants criaient et pleuraient cette
nuit-là ; et les gens, le matin, les bonnes femmes venaient
nous voir comme on va dans une maison mortuaire, consoler les
survivants ; mais personne n’osait parler du sort de Chauvel,
tout le monde frémissait. On avait raison, car Bonaparte avait dit
en son conseil d’État, où l’on parlait de tribunal et de justice,
et même de tribunal spécial, il avait dit :
    « L’action du tribunal serait trop lente,
trop circonscrite. Il faut une vengeance plus éclatante pour un
crime aussi atroce ; il faut qu’elle soit rapide comme la
foudre ! il faut du sang ; il faut fusiller autant de
coupables qu’il y a eu de victimes, quinze ou vingt, en déporter
deux cents, et profiter de cette circonstance pour purger
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