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HHhH

HHhH

Titel: HHhH
Autoren: Laurent Binet
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l’école à son
père. Quand il rentrera, il apprendra que c’est la guerre.
    — Pourquoi c’est la
guerre, Papa ?
    — Parce que la France et
l’Angleterre sont jalouses de l’Allemagne, mon fils.
    — Pourquoi elles sont
jalouses ?
    — Parce que les Allemands
sont plus forts qu’elles.
15
    Rien n’est plus artificiel,
dans un récit historique, que ces dialogues reconstitués à partir de
témoignages plus ou moins de première main, sous prétexte d’insuffler de la vie
aux pages mortes du passé. En stylistique, cette démarche s’apparente à la
figure de l’hypotypose, qui consiste à rendre un tableau si vivant qu’il donne
au lecteur l’impression de l’avoir sous les yeux. Quand il s’agit de faire
revivre une conversation, le résultat est souvent forcé, et l’effet obtenu est
l’inverse de celui désiré : je vois trop les grosses ficelles du procédé,
j’entends trop la voix de l’auteur qui veut retrouver celle des figures
historiques qu’il tente de s’approprier.
    Il n’y a que trois cas où l’on
peut restituer un dialogue en toute fidélité : à partir d’un document
audio, vidéo ou sténographique. Encore ce dernier mode n’est-il pas une
garantie tout à fait sûre de la teneur exacte du propos, à la virgule près. En
effet, il arrive que le sténographe condense, résume, reformule, synthétise sur
les bords, mais disons que l’esprit et le ton du discours sont quand même
restitués de façon globalement satisfaisante.
    Quoi qu’il en soit, mes
dialogues, s’ils ne peuvent se fonder sur des sources précises, fiables,
exactes au mot près, seront inventés. Toutefois dans ce dernier cas, il leur
sera assigné, non une fonction d’hypotypose, mais plutôt, disons, au contraire,
de parabole. Soit l’extrême exactitude, soit l’extrême exemplarité. Et pour
qu’il n’y ait pas de confusion, tous les dialogues que j’inventerai (mais il
n’y en aura pas beaucoup) seront traités comme des scènes de théâtre. Une
goutte de stylisation, donc, dans l’océan du réel.
16
    Le petit Heydrich, bien mignon,
bien blond, bon élève, appliqué, aimé de ses parents, violoniste, pianiste,
petit chimiste, possède une voix de crécelle qui lui vaut un surnom, le premier
d’une longue liste : à l’école, on l’appelle « la chèvre ».
    C’est l’époque où l’on peut
encore se moquer de lui sans risquer la mort. Mais c’est aussi cette période
délicate de l’enfance où l’on apprend le ressentiment.
17
    Dans La mort est mon métier, Robert Merle reconstitue la biographie romancée de Rudolf Höss, le commandant
d’Auschwitz, à partir des témoignages et des notes que celui-ci a laissés en
prison avant d’être pendu en 1947. Toute la première partie est consacrée à son
enfance, à son éducation incroyablement mortifère par un père ultraconservateur
complètement psychorigide. L’intention de l’auteur est évidente : il
s’agit de trouver des causes, sinon des explications, à la trajectoire de cet
homme. Robert Merle essaie de deviner – je dis deviner, pas
comprendre – comment on devient commandant d’Auschwitz.
    Je n’ai pas cette intention – je
dis intention, pas ambition – avec Heydrich. Je ne prétends pas
qu’Heydrich est devenu le responsable de la Solution finale parce que ses
petits camarades l’appelaient « la chèvre » quand il avait dix ans.
Je ne pense pas non plus que les brimades dont il a été victime parce qu’on le
prenait pour un Juif doivent nécessairement expliquer quoi que ce soit. Je ne
mentionne ces faits que pour la coloration ironique qu’ils confèrent à son
destin : « la chèvre » va devenir celui qu’on appellera, au
faîte de sa puissance, « l’homme le plus dangereux du III e  Reich ».
Et le Juif Süss va se muer en Grand Planificateur de l’Holocauste. Qui aurait
pu deviner une chose pareille ?
18
    J’imagine la scène.
    Reinhardt et son père, penchés
sur une carte d’Europe étalée sur la grande table du salon, déplacent des
petits drapeaux. Ils sont concentrés car l’heure est grave, la situation est
devenue très sérieuse. Des mutineries ont affaibli la glorieuse armée de
Guillaume II. Mais elles ont aussi ravagé l’armée française. Et la Russie
a carrément été emportée par la révolution bolchevique. Heureusement, l’Allemagne
n’est pas la Russie, ce pays arriéré. La civilisation germanique repose sur des
piliers si solides
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