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Hergé écrivain

Hergé écrivain

Titel: Hergé écrivain
Autoren: Jan Baetens
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convient avant tout d’insister sur l’inégalité des forces entre bande dessinée flamande et bande
dessinée francophone en Belgique.
    Pour ce faire, partons d’un fait aussi simple qu’étrange,
du moins aux yeux du public non belge : l’insertion de
Willy Vandersteen, équivalent flamand d’Hergé au début
des années 1950, dans le courant franco-belge qu’ilillustre avec d’autant moins de problèmes que certains de
ses albums – les meilleurs, dit-on (du côté francophone,
bien entendu) dans les aperçus historiques de sa carrière
– ont été faits directement pour le journal Tintin .
L’exemple de Vandersteen, qu’il faudrait compléter au
moins par celui de Bob De Moor, bras droit flamand
d’Hergé, et de celui de Morris, père spirituel flamand de
Lucky Luke, est révélateur à bien des égards. Attirés par
les débouchés du marché francophone, bien des auteurs
flamands ont en effet commencé à produire en français,
par exemple à l’aide d’un scénariste francophone, et à
chaque fois les phénomènes d’occultation et d’acculturation ont été intenses et systématiques. Pour devenir
belge, c’est-à-dire franco-belge, à la fois écrite en français
et destinée au double marché belge et français, la bande
dessinée flamande a dû se couper de ses traits les plus
spécifiques. Or certains de ces traits étaient liés justement à ce qui faisait le plus défaut du côté francophone
belge : une présence marquée des « lieux » et de la géographie sociale et humaine, l’inscription sans ambages
des questions politiques du jour (et de l’histoire en
général), un ton populaire et l’emploi d’un langage parlé
très dialectisant mais non parodique (même à un
moment où la promotion sociale ne passait plus seulement par l’adoption du français mais aussi par celle du
néerlandais standard).
    L’intégration de la bande dessinée flamande à la bande
dessinée francophone de Belgique s’est donc accompagnée d’une grande opération de « normalisation » : Le
Fantôme espagnol de Vandersteen, généralement considéré
comme un sommet flamand du style franco-belge, est un
album certes situé en Flandre, mais dans un passé lointain
capable aussi bien de recycler bon nombre de clichés que
de faire l’impasse sur le côté populaire de l’auteur, devenudepuis le « Brueghel de la bande dessinée 16  ». Il serait toutefois incorrect de qualifier cette opération d’hygiène, destinée à transformer un plouc en quelqu’un de présentable, de « colonisation interne ». D’abord, parce que ces
mesures de déflamandisation n’ont pas été vécues comme
un trauma, ni comme une quelconque atteinte à l’identité
par les auteurs ou les lecteurs, mais bel et bien comme une
promotion culturelle et économique (la suite et surtout la
fin de la carrière de Vandersteen ne laissent planer aucun
doute sur ce point). Ensuite, parce que la déflamandisation montrait surtout la difficulté ou l’incapacité de la
bande dessinée belge d’expression française d’être elle-même… belge et non pas franco-belge. En effet, en supprimant les aspects trop flamands de la bande dessinée flamande, c’est à une intensification de leur propre autocensure que procédaient les responsables du journal Tintin ,
moins désireux de chasser les relents flamands de Vandersteen et d’autres que de faire barrage aux aspects proprement belges que les Flamands risquaient d’importer,
surtout sur le plan du style parlé des dialogues, des personnages « populaires » (indésirables dans un genre à la
recherche de respectabilité culturelle) et du contexte politique (bien trop présent dans les albums flamands aux
yeux de certains 17 ).
    Les clivages les plus nets concernent toutefois le traitement de la question linguistique, celle entre les langues
comme celle à l’intérieur d’elles. Alors que la bande dessinée
francophone de Belgique « ignore » la question par l’emploi
généralisé du français standard que l’on trouve dans toutes
les « bonnes » publications pour la jeunesse de cette époque,
la bande dessinée flamande, publiée dans des quotidiens à
grand tirage et s’adressant donc à un public essentiellement
adulte, est hypersensible à la dimension verbale de la fiction.
Les deux points chauds de cette attention au langage sont
d’une part le rôle joué par le flamand parlé, encore fortement dialectal, et d’autre part la
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