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Hergé écrivain

Hergé écrivain

Titel: Hergé écrivain
Autoren: Jan Baetens
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prolifération de personnages bourgeois, c’est-à-dire francophones, baragouinant le
flamand. Dans les deux cas, les motivations politiques sautent aux yeux. Le rejet du néerlandais standard, un langage
« clean » importé des Pays-Bas, était logique s’agissant d’une
pratique culturelle qui se voulait avant tout populaire et que
les propriétaires des journaux utilisaient pour instiller des
messages politiques auprès d’un lectorat encore très scindé
selon des lignes idéologiques. La parodie du « flamand
petit-nègre » parlé par les notables locaux servait d’autre
part à disqualifier les prétentions culturelles d’une classe
bourgeoise réticente à s’adapter à une société où le pouvoir
économique commençait à basculer en faveur de la nouvelle classe moyenne flamande.
    La complexité sociologique des dialogues de la bande
dessinée flamande des années 1945-1960 est proprement
intraduisible – c’est du reste une des raisons pour lesquelles cette bande dessinée n’est jamais parvenue à bien
s’exporter. Cette stratification linguistique est aussi sans
équivalent dans la production francophone de Belgique,
qui s’est longtemps limitée à une vision de nouveau très
« orientalisante » du problème linguistique. Hergé par
exemple cesse vite de faire parler bruxellois à ses héros etn’utilise ses propres souvenirs du patois bruxellois qu’aux
moments où il se trouve amené à camper un certain type
d’étranger. À chaque fois, la langue barbare a un infratexte flamand , il est vrai de moins en moins compris du public
belge et totalement opaque aux lecteurs français.
    Avec l’essor de la belgitude et d’une plus grande ouverture au contexte belge dans la bande dessinée francophone,
la langue se belgicise, mais souvent à la manière des albums
en général que dominent le rire et le second degré. Tout à
coup on voit en effet apparaître des bandes dessinées en
« bruxellois » (ou en traduction bruxelloise, s’il ne s’agit pas
d’œuvres inédites), qui exhibent le parler belge sur le
modèle tératologique. Ici encore, l’exemple type est celui
d’Yves Chaland, qui a conçu un album dont la couleur
locale est surtout verbale et qu’il doit être impossible pour
des lecteurs non bruxellois (et encore) de déchiffrer sans le
lexique inclus en fin de volume : Bob Fish detectief . Si Le
Jeune Albert est belge au carré, Bob Fish , lui, l’est au moins
au cube (et que dire des comparses ?).
    Avec son intérêt pour les échanges entre divers types de
production culturelle, l’approche systémique jette une
lumière crue sur l’autocensure que s’inflige la bande dessinée francophone de Belgique. Elle pointe aussi la direction que la nouvelle bande dessinée francophone de Belgique aurait tort de ne pas emprunter : la redécouverte ou
la réinvention sérieuse de sa propre langue. Entre le refoulement de ce qui est spécifique et l’exhibition clownesque
de ce qui ne l’est que trop, il doit y avoir moyen de
s’atteler à de nouvelles formes de représentation de la réalité belge, qui n’est jamais ni monolingue, ni uniforme.
    L’œuvre d’Hergé a beau ne pas engager directement ce
genre de questions, elle n’en sert pas moins de révélateur
et de repoussoir à ce qui se fait aujourd’hui dans une certaine bande dessinée belge.
    ----
    1 Une première version de ce chapitre a paru dans la revue Études
francophones , vol. 20-1, 2005.
    2 Marc Quaghebeur, L’Alphabet des Lettres belges de langue française ,
Bruxelles, Association pour la promotion des lettres belges de langue
française, 1982.
    3 La (longue) préface de ce livre a fait l’objet d’une réédition
séparée, sous le titre de Balises pour l’histoire des lettres belges (Bruxelles,
Labor, 1998). Le texte de Quaghebeur y est complété d’une « Postface »
(p. 404-423) de Paul Aron, qui situe les Balises dans l’histoire complexe
de l’historiographie littéraire de la littérature belge. À titre d’exemple de la
manière parfois incongrue dont les Belges pensent leur identité, il est
peut-être utile de rappeler aux lecteurs non belges qu’une des appellations officielles des organes politiques des francophones de Belgique est
« Communauté française de Belgique ». Malgré les évidences, il ne s’agit
pas de l’amicale des Français résidant en Belgique, mais bel et bien d’une
des structures représentatives des francophones du pays.
    4 De la
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