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Hergé écrivain

Hergé écrivain

Titel: Hergé écrivain
Autoren: Jan Baetens
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Horta, de ville nouvelle inspirée de Le Corbusier et de non-lieu postmoderne livré aux promoteurs
immobiliers. De même, la chronologie des cités n’est pas
celle de « notre » histoire, elle superpose bizarrement le
passé et l’avenir, tout en suivant un calendrier ad hoc qui
crée une zone-tampon entre réel et fiction. Enfin, la langue
des personnages est contaminée par quelques tics qui
aident à mieux camper l’étrangeté des cités obscures, mais
qui ne cherchent aucunement à « inventer » un parler typiquement belge. Des auteurs plus régionalistes tels que
Comès ou Servais optent eux aussi pour le maintien d’un
écart temporel, comme s’il n’était possible de s’attaquer à la
représentation du cadre belge qu’à l’aide d’un filtre historique, la précision tantôt documentaire, tantôt clinique
étant comme tamisée par la distance temporelle qui dissout
un peu ce que la fiction pourrait avoir de dur 13 …
    La conclusion de pareil tableau est simple. S’il y a
désormais, à l’intérieur de l’école franco-belge, une place
pour une production clairement marquée comme « belge »,
celle-ci apparaît surtout comme une bande dessinée au
second degré, qui exploite à fond toute une série de stéréotypes culturels. Il n’est pas étonnant dès lors de constaterque cette bande dessinée belge est souvent faite par des…
non-Belges, qui s’amusent à monter en épingle des lieux
communs où éclate surtout la nostalgie de leurs lectures
d’enfance : la Belgique se réduit à Bruxelles (ville d’Hergé),
la Belgique est le pays de la bande dessinée (tous les petits
Belges lisent le journal Tintin , après avoir lu Le Petit Vingtième ), la Belgique est de préférence celle de l’entre-deux
guerres et de l’Occupation (c’est là qu’a pris son essor la
mythologie Tintin), la Belgique, c’est l’union du Trône et
de l’Autel (et du boy-scoutisme, témoin Hergé), le parler
belge enfin est une sorte de français relevé par des choses
cocasses nommées belgicismes (sur ce point, et pour les raisons commentées ci-dessus, les Français n’ont pas besoin de
la bande dessinée pour se faire une idée de la Belgique).
    L’avantage de cette évolution est sans conteste le dépassement d’une bande dessinée belge, ou plutôt non belge,
d’antan, où tout ce qui renvoyait au pays était soigneusement gommé ou dissimulé au regard. Mais on reste à mille
lieues d’une véritable émancipation du modèle français. Il y
a cependant lieu de se demander si un tel affranchissement
est vraiment possible, puisque après tout c’est bien pour le
marché français, dix-neuf fois plus grand que celui belge en
chiffres d’affaires de librairie, que l’on continue à travailler.
     
    3. Une bande dessinée francophone
     
    Est-ce à dire que l’exiguïté du marché domestique oblige
les auteurs belges à l’autocensure, dont l’autodérision est
une des formes les plus fréquemment attestées en Belgique
(et pas seulement en bande dessinée 14 ) ? Le problème de cetype d’interrogations est que la réponse y est toujours inscrite dans la question même. En effet, tant que le débat se
situe par rapport au seul pôle culturel français, le résultat
est comme programmé d’avance : la bande dessinée belge
sera soit franco-belge, si elle refoule sa belgitude, soit
belge mais au second degré, car il est vain de vouloir
s’émanciper sur le plan culturel quand on dépend économiquement du voisin français. Pour que la bande dessinée
belge puisse se penser et, partant, se construire autrement,
une approche différente est nécessaire. À titre d’hypothèse, on voudrait défendre ici l’idée que la production
belge doit cesser de se positionner par rapport à la France,
pour mieux s’analyser dans le contexte proprement belge
qui est (aussi) le sien.
    Très enrichissante sur le plan des études littéraires, où
l’intérêt pour les rapports entre langues et cultures au sein
de l’aire politique belge a renouvelé le regard sur les littératures néerlandophone(s) et francophone(s) du pays 15 ,
cette analyse systémique peut contribuer à une réinterprétation de la bande dessinée francophone du pays. Ici,
l’accent ne tombe plus exclusivement sur les différences,
niées ou assumées, entre la Belgique et la France, mais,
pour le corpus et la période qui nous concerne ici, sur la
question des rapports avec la communauté flamande.
    À ce propos, il
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