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Hergé écrivain

Hergé écrivain

Titel: Hergé écrivain
Autoren: Jan Baetens
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tibias croisés) ; ou bien,
ailleurs, des écritures non latines (tels l’arabe ou le chinois),
non pas dénuées de signification, mais opaques aux yeux
des jeunes lecteurs. Le pourquoi de la langue étrangère est
ici graphique et ne peut être saisi qu’à l’intérieur d’un
système : le changement de code (l’abandon de la langue
au profit du dessin) constitue moins une mise en sourdine
qu’une exaspération, le degré suprême, mais jamais vulgaire, de la violence.
    Étrangères, les langues, ainsi, ne le seraient plus au sein
des albums, où elles acquièrent une lisibilité au second
degré.
    Le cas des langues imaginaires est là cependant, qui
rappelle que le vecteur proprement sémantique du discours étranger ne peut pas facilement être mis entre
parenthèses. Pour le public initial, en effet, les jeunes lecteurs belges du Vingtième Siècle , ces bribes de bordure ou
d’arumbaya n’étaient pas incompréhensibles : il suffisait
d’un peu de marollien ou de flamand pour saisir au moins
une partie de la signification 1 . Autrement dit : l’universalisation des lecteurs de Tintin a doté ces langues imaginaires d’un taux de fictionnalité qu’elles ne possédaient
guère à l’origine. Si farfelu qu’il semble, le discours étranger
ne peut jamais se laisser réduire à un simple effet de couleur locale.
     
    2. Intraduisible Tintin 2
     
    La présence des langues imaginaires, d’une part, et leur
rapport direct avec la langue devenue en partie imaginaire
qu’est le marollien, le patois bruxellois encore très vivant
dans la jeunesse d’Hergé, obligent à s’interroger davantage sur la signification de ces paillettes d’exotisme dont
toute l’œuvre d’Hergé est parsemée.
    Dans leur étude linguistique très fouillée du marollien
dans les Aventures de Tintin 3 , Daniel Justens et Alain
Préaux arrivent à des conclusions méthodologiques analogues. Après avoir démontré de façon presque exhaustive
que n’importe quelle expression « bruxelloise » se prête avec
succès à un effort de décryptage, les auteurs insistent sur la
nécessité d’aller plus loin que la seule traduction des corps
étrangers linguistiques afin de saisir la logique derrière
l’emploi de ces expressions, et plus encore des variations de
cet emploi. Car si au début des Aventures de Tintin (et du
travail d’Hergé en général, puisque les gags de Quick et
Flupke sont également concernés, même si toute stratégie
de cryptage y fait défaut), l’utilisation du marollien semble
émaner comme naturellement du contexte belge où s’enracinent les premiers albums, la « dénationalisation » progressive des albums touche diversement le nombre et le
statut des mots ou des énoncés « bruxellois ».
    Du point de vue quantitatif, on observe non sans surprise que la présence du « bruxellois » ne tend pas à diminuer, au contraire. Paradoxalement, mais on verra tout de
suite que le paradoxe n’est qu’apparent, les éléments à
racine marollienne augmentent au moment même où
Hergé procède à un gommage lent mais assez systématique des marques de belgitude de son œuvre, d’une part,
et à la réactualisation et à la modernisation des albums,
d’autre part. Travaillant de plus en plus pour le marché
hexagonal, puis « universel », le dessinateur et scénariste
remplace logiquement les signes « démodés » ou « provinciaux » risquant de gêner le lecteur étranger par des
signes plus transparents, moins connotés. D’autres dessinateurs belges vont du reste adopter la même stratégie,
témoin par exemple la décision d’un Franquin de remplacer dans la série des Gaston Lagaffe les agents de police
belges par des flics à la française (reste à savoir si le changement d’uniforme entraîne aussi un changement du personnage, mais ceci est un autre problème).
    Cependant, l’emploi du marollien ne semble pas
affecté par cette politique de dénationalisation et de
modernisation combinées. La réponse que Justens et
Préaux donnent à cette bizarrerie est, je crois, très juste.
Selon eux, le recours au marollien aurait servi d’exutoire
ou, plus exactement encore, d’outil de dissimulation : la
« traduction » de certains éléments devenus indésirables
en patois bruxellois aurait permis de les dérober à
moindres frais à l’attention du public. Surtout dans le
cas de l’autocensure de certaines prises de position politiques, implicites ou explicites,
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