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Hergé écrivain

Hergé écrivain

Titel: Hergé écrivain
Autoren: Jan Baetens
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Belges devenant de
moins en moins bilingues, que les raisons qui ont amené
Hergé à maintenir un bilinguisme dont il a dû comprendre très vite qu’il ne servait plus vraiment à grand-chose. En effet, dans un média aussi sensible aux réactions
du public que la bande dessinée – parangon contemporain de la littéraire populaire et de la tradition du
feuilleton –, si Hergé a continué à inclure dans Tintin des
fragments de marollien, c’est parce qu’il en escomptait un
certain effet, si ce n’est un effet certain. Pourquoi persister
et signer quand il se manifeste une telle rupture entre
l’auteur et son public ? Cette rupture était dangereuse,
notamment en termes de chiffres de vente (et l’on sait que
comme tous les dessinateurs de sa génération, Hergé se
sentait autant homme d’affaires qu’artiste). On peut donc
supposer que l’auteur de Tintin devait avoir – ou pensait
avoir – d’excellents motifs pour continuer à faire parler
certains personnages en marollien.
    Car c’est bien de cela qu’il s’agit. Il y a des personnages
qui parlent ce dialecte flamand, et d’autres qui parlent
français, et pour rien au monde on ne pourrait confondre
les uns et les autres. Ceux qui parlent marollien sont en
effet l’étranger et le méchant par excellence. Non que tous
les étrangers ou que tous les méchants parlent flamand
chez Hergé : dans Tintin , on suit la règle bien connue desdivertissements populaires qui veut qu’en principe, sauf
effet immédiatement comique, tout le monde parle la
même langue (les uns – « nous » – un peu mieux que les
autres – « eux » –, même s’il est vrai qu’Hergé n’a pas systématiquement utilisé le petit-nègre). Par contre, l’étranger absolu, la tribu indienne des Arumbayas de L’Oreille
cassée qui reste à l’état de non-civilisation absolue, et le
méchant absolu, le peuple du tyran bordurien en qui il
n’est guère difficile de reconnaître Joseph Staline, ont le
triste privilège d’être associés à l’emploi du marollien,
quel que soit le mal qu’ils se donnent parfois pour travestir cette nature linguistiquement dépravée.
    Soyons toutefois prudents. En faisant une lecture trop
littérale et extérieure de ce qui vient de se dire, on pourrait
être tenté de penser que Hergé se moque des Flamands,
pour ne pas dire pire (et on sait que les rapports entre les
deux communautés linguistiques ont traversé des
moments difficiles, surtout peut-être pendant les années
où l’œuvre d’Hergé s’est imposée). S’il y a de l’humour
dans cette combinaison de l’étranger et de l’autre langue
du pays, cet humour n’est guère méchant. Et que je sache,
le rapprochement du tyran bordure et de la langue flamande n’a jamais été ressenti comme une marque d’agressivité à l’égard d’une communauté longtemps dominée
par l’élite francophone, mais de moins en moins prête à
supporter le statut de citoyens de second rang. C’est
même plutôt le contraire qui serait vrai : ce qu’a remarqué
– et apprécié ! – le lecteur flamand, c’est avant tout, et
peut-être même exclusivement, l’insistance sur le dialecte
marollien, qu’on était fier et amusé de retrouver à l’intérieur d’une bande dessinée à vocation universelle et dont
le retour régulier était vécu comme un clin d’œil , voire
comme un hommage . Fort probablement, la présence
marquée d’un de leurs dialectes dans une série mondialement célèbre a dû amuser et encourager les Flamands à un
moment de leur histoire où ils ont été privés de leurs dialectes, d’abord décrétés irrecevables, puis remplacés par
une langue standard fortement influencée par le modèle
des Pays-Bas, que la majorité des locuteurs continuent à
trouver un rien artificiel.
     
    3. Les dessous du français
     
    Les apparences ont beau dire le contraire, on se tromperait donc lourdement en interprétant les vestiges du
marollien comme un geste anti-flamand. Autre chose
était en jeu pour Hergé, et cet autre chose apprendra plus
clairement pourquoi Tintin peut être dit intraduisible. Je
voudrais souligner ici deux mécanismes mis en branle par
l’inclusion de fragments en langue étrangère (flamands ou
autres, peu importe), qui vont finir par toucher à la totalité du travail hergéen.
    Le premier concerne le fait que le bilinguisme et, partant, le désir de traduction s’avèrent contagieux . Si le lecteur
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