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Hergé écrivain

Hergé écrivain

Titel: Hergé écrivain
Autoren: Jan Baetens
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opération est le prolongement logique de la
fascination des langues étrangères, dont on a vu qu’elle se
mue peu à peu en une fascination de la propre langue (le
français) comme langue virtuellement étrangère. En effet,
dans le deuxième mécanisme ce n’est pas uniquement le
texte qui se dédouble, mais aussi le rapport entre texte et
image. Loin d’être pensé seulement en termes de complémentarité ou de détermination (en termes barthésiens on
parlerait ici de « relais » dans le premier cas et d’« ancrage » dans le second), ce rapport devient dans Tintin plus ambigu et plus ambivalent, l’image reprenant une
partie des dimensions du langage et inversement. Telle
interpénétration réciproque suscite de nouvelles formes
de bilinguisme, chaque « code » ou chaque « média » (le
verbal et l’iconique) devenant en quelque sorte des structures mixtes qui résistent violemment à toute opération
de traduction au sens classique du terme. Dans une telle
perspective, il apparaît d’emblée qu’une « bonne » traduction devrait non seulement s’attaquer à la transposition
du texte, mais également à celle de l’image, ce que bien
des théories traditionnelles de la traduction ont du mal à
penser.
    À l’admettre, cette hypothèse de lecture a pour effet
immédiat de tirer de leur banalité certains traits récurrents des Aventures de Tintin , tel le goût des codes.
    Anecdotiquement, la profusion de messages chiffrés
pourrait se rattacher aux origines boy-scout de la série.
L’apprentissage des traces, les messages secrets, le glissement de l’individu à l’animal totémique qui le représente,
le morse, les signaux lumineux, le surnom, sont autant de
procédures bien connues des adeptes de Baden Powell et
dont Hergé multiplie les exemples. Il suffit pourtant d’un
peu scruter l’œuvre pour que cette explication avère son
insuffisance, car l’emploi du code est bien trop systématique et bien trop complexe pour ne renvoyer qu’aux souvenirs d’enfance de l’auteur. Très vite, le code devient le
signe d’une filiation et d’une revendication littéraires : il
rappelle Verne, par exemple, et avec lui toute la littérature
d’aventures teintée de didactisme, devenant ainsi comme
un sésame qui donne accès à la « grande » littérature.
    Mais il y a plus que cette question intertextuelle. Le
code est, du moins pour le lecteur, une manière d’oxymoron étalé dans le temps : il combine une énigme et, plus
tardive, une clé (laquelle peut continuer à faire défaut).
Or, si Hergé prend garde à ne pas nous priver des clés
majeures, il reste que très souvent la solution tarde à être
donnée – c’est tout le problème du très policier Secret de
La Licorne –  et que le sens soit suspendu . Il n’en faut pas
plus pour voir aussitôt la forme soumise à un examen, une
trituration, voire une modification qui créent une situation assez analogue au travail de lecture qui va suivre.
    À cette différence près (elle est capitale) que l’on cherchera moins à lever des énigmes (c’est-à-dire à trouver la réponse) qu’à se saisir des possibles offerts par les mots
pour tresser des relations que cachent la clarté du récit, la
familiarité des situations, la simplicité des mots ou la
consistance des personnages.
    Voilà donc l’esprit – davantage que la méthode – dans
lequel on interrogera l’écriture hergéenne : comme un
objet à lire à la lettre, et partant comme un objet susceptible d’être métamorphosé par la lecture. Mais aux antipodes de la libre association qui tend à multiplier le virtuel au détriment de ce qui se trouve écrit ou dessiné sur
la page, cette lecture se veut la recherche de l’excès que les
traces réelles permettent de produire. Que cette production puisse avoir lieu, que le travail d’Hergé soit le lieu
d’une outrance proprement textuelle, ainsi s’énonce le défi
sur lequel cet ouvrage a pu faire fond.
    ----
    1 L’ouvrage de Philippe Soumois, Dossier Tintin (Bruxelles, Jacques
Antoine, 1987), contient d’ailleurs la traduction intégrale (et presque
toujours correcte) de ces mots ou dialogues si opaques à l’oreille
française. Une approche scientifique de la traduction des langues
étrangères est donnée par Daniel Justens et Alain Préaux dans Tintin,
Ketje de Bruxelles , Paris, Casterman, 2004.
    2 Quelques pages de cette section ont paru, en anglais et dans une
version plus
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