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Haute-Ville, Basse-Ville

Titel: Haute-Ville, Basse-Ville
Autoren: Jean-Pierre Charland
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suite, en la bousculant, ils ne semblaient plus avoir d'autre objectif que de lui arracher ses vêtements.
    D'abord la robe disparut, puis la camisole. Les rires et les cris des quatre garçons couvraient chacune de ses plaintes, de ses protestations, de ses supplications.
    «Je dois crier, se dit-elle, on va m'entendre. » Mais elle ne produisit qu'un grognement vite étouffé par la main de l'un des garçons. «Allons dans la grotte», fit celui-là. La poussant, la portant à demi, ils l'amenèrent derrière la maison. Il y avait là une pente abrupte qui débouchait sur une porte en bois découpée dans le talus. Celle-ci s'ouvrit, ils la poussèrent de toutes leurs forces à l'intérieur. Comme la porte était basse, elle se cogna brutalement la tête au linteau. A demi assommée, elle se retrouva sur le plancher de terre battue, dans une assez grande pièce encombrée de quelques caisses, de bouteilles et d'étagères. «Un caveau à légumes», se dit-elle, hébétée. C'était la grotte dont ils avaient parlé.
    La soirée ne faisait que commencer.
    La veillée mit longtemps à se terminer. Le samedi soir, on trouvait au bordel ces solitaires effrayés à l'idée de retrouver une maison ou un appartement vide. Ils devenaient bavards tout d'un coup ; dans un autre contexte, on aurait presque pu dire sentimentaux. Bien après minuit, le Chat se vida des derniers traînards. Après plusieurs heures à se faire passer sur le ventre, les filles commencèrent par une toilette en profondeur. Elles se retrouvèrent ensuite dans la grande pièce du rez-de-chaussée, plus ou moins vêtues, pour se détendre un peu avant d'aller dormir. La plupart prirent un grand verre d'alcool, histoire de s'anesthésier.
    Lara fat la dernière à descendre, après avoir longuement frotté son sexe et ses seins. À peine sortie de sa chambre, elle entendit grommeler dans la petite pièce située au fond du corridor. Curieuse, elle passa la tête par la porte entrebâillée. Elle aperçut Ovide Germain, étendu en travers du lit, sur le dos. Des taches de sang marquaient le devant de sa chemise noire et sa cravate blanche. Nul besoin d'être médecin pour diagnostiquer une fracture du nez. Le vieux barman essuyait le sang coagulé, alors que Germain l'abreuvait d'injures.
    Lara tourna les talons sans faire de bruit et regagna l'escalier. Dans la grande salle du bas, elle se dirigea vers le bar.
    Berthe servait «ses filles» et échangeait quelques mots avec chacune.
    —    Qu'est-il arrivé à Ovide ? demanda-t-elle.
    —    Un client susceptible à qui il a offert les services d'un garçon, expliqua la tenancière en riant.
    —    Comment cela ? Les clients viennent ici pour baiser.
    —    Avec des filles. Tu te souviens de ces jeunes gens, cet après-midi ?
    Lara acquiesça. A cause d'eux, elle avait dû commencer sa journée de travail bien plus tôt que d'habitude.
    —    Il y avait un timide avec eux. Il a refusé toutes les filles. Même moi !
    Berthe avait dit cela d'un ton dépité, comme s'il n'était pas possible qu'on lève le nez sur ses charmes cinquantenaires.
    —    Ovide a cru bien faire en lui offrant l'un des gamins de son écurie. L'autre l'a mal pris et lui a dévissé le nez.
    —    Ce devait être un colosse ?
    —    Pas du tout. Il ressemblait tout à fait à un séminariste.
    —    Notre petit caïd serait-il moins terrible que nous le pensons ?
    Il y avait à la fois de l'incrédulité et de l'ironie dans la voix de la jeune prostituée.
    —    Il dit qu'il a été pris par surprise. Le plus drôle, c'est que quelqu'un en aurait même profité pour partir avec son chapeau. Tu sais, ce borsalino dont il est si fier ?
    Tout sourire, Berthe examinait Lara attentivement, affichant une sympathie évidente. Elle demanda :
    —    Et toi, comment vas-tu ?
    Lara fit une grimace. Ses yeux rouges témoignaient de ses pleurs récents. Berthe lui proposa le remède habituel pour les idées noires :
    —    Je te sers un cognac?
    —    Un verre de lait, comme d'habitude.
    —    Tu ne t'y fais pas ? Tu es pourtant ici depuis trois ans.
    —    Pas trois ans, un peu plus de deux.
    Berthe lui tendit le verre de lait qu'elle avait déjà fait chauffer pour elle. Son ton se fit tout à fait maternel quand elle continua :
    —    Tu ne serais pas mieux dans une manufacture, tu sais. Tu aurais un contremaître après tes jolies fesses, cela pour quelques cents de
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