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Hasdrubal, les bûchers de Mégara

Hasdrubal, les bûchers de Mégara

Titel: Hasdrubal, les bûchers de Mégara
Autoren: Patrick Girard
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d’Aristée et de ses compagnons
mais je suis sûr que les descendants du vieil Abraham le Cohen leur ont permis
de s’embarquer pour Tyr, la métropole d’où étaient venus nos ancêtres, où ils
purent couler des jours heureux.
    Après cet
aparté, nous poursuivîmes notre chemin et pénétrâmes dans le faubourg de
Mégara. Il ne restait plus rien des potagers et des vergers qui avaient
longtemps permis aux assiégés de se procurer les denrées nécessaires à leur
survie. Partout, les palais des aristocrates et des membres du Conseil des Cent
Quatre avaient été livrés aux pioches des démolisseurs. De lourds chariots
stationnaient à proximité des ruines et des dizaines de prisonniers les
chargeaient de meubles précieux, de statues et de vaisselle d’or et d’argent.
Ces trésors partiraient bientôt pour Rome, à l’exception d’une infime partie
qui serait distribuée aux légionnaires afin de les récompenser de leur zèle.
Mon geôlier, par un geste qui l’honora, nous fit prendre un chemin détourné
pour éviter la demeure de Mutumbaal où j’avais grandi et passé des jours
heureux. Il accéda toutefois à ma requête de la revoir une dernière fois, quel
que fut son état. Il n’en restait plus rien. Les maudits Fils de la Louve
avaient saccagé de fond en comble notre palais et ses jardins ainsi que la
ménagerie où s’ébattaient autrefois quantité d’animaux sauvages. Je ne pus
m’empêcher de pleurer en songeant à la dernière soirée que j’y avais passée, en
compagnie d’Himilké et de mes enfants, lors de cette nuit fatale qui avait vu
les Romains escalader l’enceinte et pénétrer dans Mégara, nous obligeant à nous
replier dans la ville à proprement parler et dans la vieille citadelle de la
Byrsa.
    Scipion
Aemilianus remarqua mon désarroi et eut l’élégance de ne pas prolonger mes
souffrances. Il éperonna son cheval, nous obligeant à le suivre. Lui-même,
ainsi que je pus le constater, était en proie à une violente émotion. Plus nous
progressions dans les ruines encore fumantes de notre ville, parsemées de
cadavres calcinés, plus il paraissait sombrer dans une étrange mélancolie.
Soudain, je l’entendis murmurer ces vers d’Homère : « Viendra un jour
où périra Troie, la cité sacrée, et où périront avec elle, Priam et le peuple
de Priam. » Son âme damnée de Polybe, ce maudit Grec qui chevauchait à ses
côtés, fut plus rapide que moi pour l’interroger :
    — Illustre
consul, pourquoi récites-tu ce passage si triste du plus grand de nos
poètes ?
    — Je
devrais être effectivement heureux car j’ai remporté une victoire éclatante
dont on parlera encore pendant longtemps. Si j’étais un général uniquement
préoccupé par sa gloire, sans doute entonnerais-je un chant d’allégresse et me
réjouirais-je de la fin de notre plus mortel ennemi. Mais je sais combien la
Fortune est capricieuse et je suis assez averti de l’instabilité des choses
humaines pour ne pas éprouver une insidieuse inquiétude. J’appréhende le moment
où un autre pourrait nous adresser pareil avertissement au sujet de notre
propre patrie. C’est Rome qui occupe mes pensées et il se pourrait qu’elle
connaisse un jour les malheurs de Carthage.
    — Tes
craintes sont sans objet. Aujourd’hui, les tiens sont venus à bout des plus
farouches de leurs ennemis et, sous peu, d’autres peuples, ayant tiré les
leçons de cette catastrophe, viendront se placer sous votre protection.
Crois-moi, ta cité vivra éternellement.
    Sur le
moment, je m’étais contenté de noter ces paroles de mon vainqueur. J’ai eu
l’occasion depuis d’y réfléchir longuement et d’en discuter, à mots couverts,
avec d’autres victimes de la furie conquérante des Romains. Tous m’ont conforté
dans le sentiment que cette vision s’accomplira même si j’ignore quand cela se
passera et quels peuples – peut-être ne connaissons-nous pas encore
ces derniers – feront mordre la poussière aux Fils de la Louve.
Ceux-ci sont issus de l’Occident alors que nous sommes les enfants de l’Orient,
de cet Orient dont les empires et les réalisations traversent les siècles sans
jamais sombrer dans l’oubli. Les conquérants n’y font que passer et leurs noms
disparaissent de la mémoire des hommes alors que chacun se souvient encore des
Mèdes, des Perses, des Égyptiens et des Hébreux.
    Durant mes
années d’exil et de semi-captivité sur les bords du Tibre, bien
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