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Galaad et le Roi Pêcheur

Galaad et le Roi Pêcheur

Titel: Galaad et le Roi Pêcheur
Autoren: Jean Markale
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des fruits, et où règne Morgane, entourée de fées capables elles aussi de métamorphoses. Mordrain n’est qu’une récupération chrétienne d’un ancien mythe des temps druidiques. Quant au Roi Pêcheur de la version allemande de Wolfram von Eschenbach, il porte le nom – incompréhensible – d’Anfortas, mais, s’il est lui-même blessé, il semble avoir été plus ou moins confondu avec son père, le mystérieux Titurel, fondateur de la lignée initiatique – et élitiste – des gardiens du Graal. Là aussi, on rencontre des éléments mythologiques issus d’antiques traditions difficilement repérables dans le temps et dans l’espace.
    Dans ces conditions, compte tenu de la personnalité ambiguë du Roi Pêcheur et de l’espèce d’exterritorialité dont bénéficie son royaume, comment s’étonner que les compagnons de la Table Ronde s’en défient et balancent à faire incursion dans de tels « domaines réservés » ? Il en avait été de même lors de l’enlèvement de la reine Guenièvre par Méléagant : seuls des héros comme Kaï, Lancelot et Gauvain avaient été capables de franchir les redoutables frontières du royaume de Gorre (ou de Voirre, la Kaer Gutrin des traditions galloises, autrement dit la « Cité de Verre ») de cet Autre Monde que cernait un cours d’eau impétueux et mortel. Au fond, comme le dit Chrétien de Troyes, le royaume de Gorre est un pays « d’où nul ne revient ». Les chevaliers d’Arthur savent bien que le royaume du Roi Pêcheur peut leur réserver le même sort. Leur attitude peut se comparer à celle des héros des épopées gaéliques d’Irlande qui hésitent à s’engager dans le monde mystérieux des Tuatha Dé Danann, dans ce sidh (« paix ») qui désigne communément les tertres mégalithiques où sont censés vivre les dieux et les héros de l’ancien temps.
    S’engager dans des aventures qui débordent largement le cadre de la vie quotidienne n’est donc pas de tout repos. Les chevaliers d’Arthur ont beau être aguerris, prêts à combattre jusqu’aux extrêmes limites de leurs forces d’hommes, ils éprouvent, chaque fois qu’ils se trouvent confrontés à des puissances surnaturelles – et ce indépendamment de leur volonté de vaincre monstres, géants, fantômes –, un découragement, une appréhension que justifie assez la disproportion… Le surnaturel a beau être au bout de chacune de leurs aventures, il a beau aiguillonner leur désir de dépassement, il n’en demeure pas moins inquiétant, imprévisible et, surtout, étranger à leur compétence. Ils n’en sont pas, tel Baudelaire, arrivés à ce désir insensé de l’Autre Monde qui mène sur des frontières où le Ciel et l’Enfer se côtoient voire se confondent inextricablement. Les chevaliers d’Arthur ont, en dépit de leurs prouesses, toutes les faiblesses, toutes les craintes, toutes les hésitations de l’homme ordinaire.
    À l’origine de cette inertie apparente – de cet attentisme, plutôt –, l’ombre de Merlin. Voilà longtemps en effet que le devin a disparu, voilà longtemps qu’il a laissé le royaume d’Arthur vivre à son propre rythme, mais ses paroles hantent toujours la mémoire du roi et de ses compagnons. Paradoxalement, l’absence physique de Merlin est beaucoup plus contraignante que sa présence réelle. C’est que l’héritage est lourd à porter ! Merlin a tout prévu, tout prédit, et chacun sait que les aventures ne se déclencheront qu’il ne l’ait lui-même décidé. À quoi bon entreprendre la quête, si les conditions n’en sont pas remplies ? D’où l’attente des prodiges qui donneront, comme annoncé, le signal. Qui prendra place impunément sur le Siège Périlleux, qui détachera le bouclier apporté par la Demoiselle Chauve et fixé au grand pilier de la salle ? À qui le petit chien qui vit reclus dans les appartements de la reine manifestera-t-il sa joie de le voir ?
    Quant au roi lui-même, il est partagé entre deux sentiments contradictoires. D’une part, il souhaite ardemment que s’engage la quête, qui marquera non seulement l’apogée de son règne, mais en sera également la justification. D’autre part, il a peur . Il se souvient en effet du rêve de jadis où il vit un ours lutter désespérément contre un dragon qui finissait par le brûler de son horrible flamme. Il se souvient aussi que, selon l’interprétation qu’en avait faite Merlin, lui-même était l’ours, et le
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